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Jour 45

Publié le 08 mars 2011 par Miimii
Jour 45

Du temps s’est écoulé, des larmes et du sang ont coulé... asséchés par une brise de liberté... payée au prix fort... depuis la dernière fois où j’ai écrit.

J’ai écrit des dizaines, des centaines de pages de colère, d’indignation, puis d’argumentaires pensant que j’avais la science infuse, pensant que mon avis était mieux construit et plus lucide que qui que ce soit. Je pensais écrire puis alléger, puis réviser, puis étoffer puis publier…

J’ai réfléchi pendant des nuits, analysé, essayé de comprendre comment une situation peut basculer aussi vite et de façon aussi irrévocable et aussi violente.

Et puis je me suis résignée, découragée par la manipulation et la désinformation, bien moins forte que ceux que j’ai vu prendre des balles, bien moins courageuse qu’eux, et bien trop triste pour eux … j’ai eu confiance en eux, et je continue à croire en l’Homme…et je crois que le bien vaincra… et que notre Histoire aura une happy end.

Me concernant, que vaut ma vie, que valent mes histoires et mes tribulations face à ce retournement de situation, face à ce tournant de l’histoire… Je n’ai plus eu de vie pendant ces jours, que je dénombre un à un.

Les premiers jours, j’étais info addict connectée parallèlement sur FB et Twitter, mais Twitter m’a tuéR… trop d’infos, c’était le fouillis d’infos, overdose de conneries qui te foutent les boules. Je ne décrochais plus de mon ipad, rechargeant la page toutes les deux minutes, en entendant cet exaspérant bruit d’oiseau qui sous entendait que les nouvelles sont là… C’était tantôt sur ZABA, tantôt sur Free Slim et Azyz et tantôt sur des gens qui se faisaient attaquer un peu partout et souvent dans des endroits où vivaient mes proches, vos proches, nos proches. J’ai fini par m’en rendre malade un peu plus à chaque appel, à chaque contradiction, à chaque démenti… à chaque fois que quelqu’un nous perdait un peu plus, qu’on voyait un cadavre ou qu’on entendait des coups de feu. Les discours des uns et des autres, de nouveaux visages qu’on a jamais vus… d’où viennent-ils et où sont partis les autres ? Qui est responsable de nous ? Y a-t-il encore quelqu’un dans ce pays ? Allo, la Tunisie... est ce que tu vas bien?

Je suis dépressive, oui… et nerveusement très fragile, quand ces évènements ont commencé à se produire, je me suis enfermée chez moi, seule pour pouvoir vivre le moment à fond. Mais je dépérissais à vue d’œil… je mourrais un peu plus à chaque annonce, chaque rebondissement, chaque pas… Je n’ai rien avalé, ni de liquide, ni de solide, ni même fermé l’œil… chaque chose qui touchait mes papilles, était brûlante et amère, à cause de ses gens dans les rues, blessés et morts aussi parfois.

Après l’annonce du départ du dit ZABA, il ne me restait que quelques minutes avant le couvre-feu pour appeler à la rescousse, qu'allait-il se produite depuis cet instant, Maman au secours!! Est ce qu'on va mourir?

Ma mère est venue me chercher pour que je rentre avec elle, j’étais tellement affaiblie, que je ne pouvais ni marcher, ni conduire… Elle me ramasse à la cuillère pour me ramener chez elle, bravant à la minute près le coup de feu, si vite imposé. Je pense avoir perdu au moins 3 ou 4 bons kilos en ces quelques jours et surtout toute mon énergie, plein d’espoir et de courage… confiante pourtant, notre sort ne peut être qu’héroïque.

Et là dans l'incompréhension totale, que va-t-il arriver à mon pays? Ma terre? Les tunisiens?

J'en tremblais, j'y pensais sans arrêt, je n'arrivais plus à vivre... Je vibrais au même rythme que les passages récurrents d'hélicos, et au nombre de barrages de fortunes et à la vision d'une chose si habituelle qui semble pourtant, aujourd'hui si suspecte: une ambulance, une voiture qui roule vite, un mec qui me fixe dans la rue, des gens qui sifflent...

Les jours suivants, je m’étais complètement déconnectée, je ne pouvais plus suivre l’info biaisée et non fondée qui circulait sur net, m’étant abstenue de faire le moindre commentaire avant d’avoir vérifié par moi-même les informations.

Je ne mangeais toujours pas, ma mère en pleurait, me suppliait et me menaçait de me ramener un médecin. Mais qui allait bouger au risque de sa vie ? Je ne l’écoutais même pas.

Tout le monde cherchait encore ce pauvre Ahmed, disparu alors qu’on avait trouvé sa voiture criblée de balles. La nuit était pour moi le pire moment, j’essayais de m’emmitoufler dans les bras de ma mère, pour essayer de dormir un peu, épuisée… elle me laissait faire, et chaque bruit, chaque souffle de vent, chaque passage d’hélico, chaque tir de balle, je sursautais en larmes. Ce qui me tuait c’était vraiment de ne pas comprendre. Je n’en serais consciente de cette révolution magnifique que quand on sera à nouveau en paix ! Pour le moment, je vis chaque minute telle qu'elle est. Je ne supporte pas l’injustice qui tue des innocents à coups de balles dans la poitrine, je ne supporte pas le mensonge de toutes ces têtes qui jonglent sur trois chaînes de télé sur lesquelles je ne me suis jamais attardées. Pourquoi ils mentent ? A leur peuple ? A ceux qu’ils sont censés protéger ?

Je me réveillais en pleine nuit, prête à ruiner ma promesse de ne pas me connecter sur Twitter, mais je résistais, je regardais les rediff’ que j’avais déjà vues pour décrypter la gestuelle des pseudos intervenants qui pensaient chaque jour pêcher la bonne parole. C’était « Lie To Me » toute la nuit.

J’exigeais que la famille se réunisse, pas moyen d’être séparée de mes frères et sœurs. Je n’étais relativement tranquille que quand tout le monde est au salon et l’alarme enclenchée. J’étais tétanisée à l’idée que quelqu’un nous agresse chez nous, nous frappe, nous tue… Je trouve ça monstrueux et inhumain, surtout lorsqu’on est innocent, et qu’on n’a rien à voir ce qui arrive, et qu’on veut simplement la paix et la liberté pour tous et gloire à la Tunisie. Plein de foyers et de familles ont été agressées, sans avoir rien fait pour. J’en faisais des crises de larmes à n’en plus finir.

Les soirs où mes frères sortaient pour monter la garde avec les mecs du quartier, j’attendais qu’ils rentrent, mais j’insistais pour qu’ils y aillent.

La journée j’essayais de travailler, et cherchant quelque chose qui viendrait améliorer l’état de la situation ou alors mon état de santé mentale, le soir venu, une nouvelle, une image, un message venait tout chambouler… et je repartais dans mon délire.

Il y a quelques jours, ma famille m’a proposé de partir avec un de mes frères qui partaient en voyage d’affaires, mon refus était presque hystérique, je ne lâcherais jamais ma Tunisie, surtout quand elle souffre… Je reste et je supporte ce que ma patrie et tous les autres citoyens endurent, et toute chose a une fin, tôt ou tard nous parviendrons à rétablir le calme et à avancer.

Entre temps, à force de traîner à la maison, on s’est presque tous tapé sur la gueule, enfermé devant les télés et se battant contre l’abus de pouvoir sur la télécommande, nous avons découvert que ma jeune sœur s’est fait tatoué un bracelet de cheville qui a failli coûter une seconde attaque à mon père, que mes parents se recouchent de nouveau à 21H, (en temps de guerre faut passer le temps :)) !!) mais que ma mère, revenait vers moi vers 23H pour que j’aille dormir. J’ai peut être hésité à lui poser la question une fois, mais la seconde je lui ai dit « Maman t’as pris une douche au moins ? ».

Mira, la copine de mon frère, s’est retrouvée enfermée un soir à l’heure du couvre feu chez nous, et depuis elle y a passé 4 jours, parce qu’elle a peur de rentrer, même en plein jour. Finalement, elle est gentille et angoissée comme moi, on s’est trouvé pas mal de comportements communs en temps de crise, peut être que je me suis trompée sur son compte.

Sam m’a beaucoup soutenue pendant cette période, je ne sais pas comment il fait… peut être que finalement, il me connait si bien qu’il le prétend. Quand je suis mal, je deviens complètement sauvage, et hermétique. Il appelle tous les soirs au moment, où je suis disposée à parler et il me parle pendant 15 à 30 min où il me parle tellement gentiment et calmement qu’il ne me lâche qu’après m’être sentie mieux, ou alors plus calme et sereine, et même parfois après m’avoir fait rire. Lui, également m’a conseillée de rester dans mon pays parce que c’était plus juste, et m’a dit que si je voulais retourner chez moi, il viendrait et resterait avec moi. J’ai trouvé l’offre touchante et gentille, mais je n’étais en état de vivre autre chose que la situation au rythme de ma nation. Il m’a promis de partir quelque part après que tout soit rentré dans l’ordre. Je me sens mieux, je suis sereine et je vois mon pays se calmer, les gens manifester pacifiquement face à des gens disposés à les entendre, une justice qui essaie de faire son travail.

En espérant que chaque jour qui passe, soit un jour meilleur… en ne souhaitant que le bonheur de tous et de chacun, que chacun obtienne ce qu’il souhaite, et qu’on obtienne tous la gloire pour notre pays, qu’on soit fiers d’être tunisiens. Quel moment historique nous vivons !


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