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(6) Les Noces du fils

Publié le 10 mars 2011 par Luisagallerini
(6) Les Noces du fils

Accoudée au parapet, je suivis des yeux la lente escalade de la lune. Le vent battait les voiles déployées et le froid, piquant, raidissait mes phalanges. Quel serait mon gage ? Quand Madame Gallerini me rejoignit, une joie enfantine éclairait chaque trait de son visage. Elle demanda ma main, je la lui offris sans protester. Elle la tourna paume vers le haut, déplia mes doigts un à un, puis, triomphante, y déposa un livre aussi volumineux qu'usé. J'accusai un moment d'incompréhension, ne sachant comment interpréter son geste. La reliure étant dans un état tel que l'on ne pouvait déchiffrer le titre de l'ouvrage, j'ouvris ce dernier en tremblant : il s'agissait de la Sainte Bible, revue par le pasteur protestant David Martin

(6) Les Noces du fils

. Était-elle protestante ?
Elle éclata de rire avant de s'excuser, après avoir repris son souffle, de ne pas avoir emporté dans ses bagages sa bible de chevet catholique. Elle n'aimait pas la déplacer de peur de l'égarer. Elle riait encore lorsqu'elle ouvrit le volume à la page cornée. Elle lut alors l'extrait suivant, en détachant chaque verset :

Alors Jésus prenant la parole, leur parla encore par similitudes, disant:
Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit les noces de son fils.
Et il envoya ses serviteurs pour appeler ceux qui avaient été conviés aux noces; mais ils n'y voulurent point venir.
Il envoya encore d'autres serviteurs, disant : Dites à ceux qui étaient conviés : Voici, j'ai apprêté mon dîner; mes taureaux et mes bêtes grasses sont tués, et tout est prêt ; venez aux noces.
Mais eux n'en tenant point de compte, s'en allèrent, l'un à sa métairie, et l'autre à son trafic.
Et les autres prirent ses serviteurs, et les outragèrent, et les tuèrent.
Quand le roi l'entendit, il se mit en colère, et y ayant envoyé ses troupes, il fit périr ces meurtriers-là, et brûla leur ville.
Puis il dit à ses serviteurs : Eh bien! les noces sont apprêtées; mais ceux qui y étaient conviés, n'en étaient pas dignes.
Allez donc aux carrefours des chemins, et autant de gens que vous trouverez, conviez-les aux noces.
Alors ses serviteurs allèrent dans les chemins, et assemblèrent tous ceux qu'ils trouvèrent, tant mauvais que bons, tellement que le lieu des noces fut rempli de gens qui étaient à table.
Et le roi étant entré pour voir ceux qui étaient à table, il y vit un homme qui n'était pas vêtu d'une robe de noces.
Et il lui dit : Mon ami, comment es-tu entré ici, sans avoir une robe de noces? Et il eut la bouche fermée.
Alors le roi dit aux serviteurs : Liez-le pieds et mains, emportez-le, et le jetez dans les ténèbres de dehors ; là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
Car il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus(6) Les Noces du fils.

Radieuse, elle ajouta d'une voix victorieuse : " Extrait de l' Évangile selon saint Matthieu, communément appelé "les Noces du fils" ! " Je blêmis. Le nom du défunt, gravé sur le portrait funéraire, était Matthieu. Était-ce une coïncidence ? De plus, comment un extrait d'évangile chrétien était-il arrivé dans la tombe d'une momie égyptienne ? Dans mon égarement, je pris sa main. Elle me repoussa doucement et déclara solennellement : " Demain, vous êtes à moi. J'ai votre parole, sur la Sainte Bible ". Sa peau, d'une blancheur surnaturelle, scintillait sous la pluie d'étoiles. Je lui promis d'être son chevalier servant à Hermopolis.

(6) Les Noces du fils

Monsieur Archer ayant apparemment oublié que sa nièce l'attendait sur le ponton, je la raccompagnai deux heures et demi plus tard dans sa cabine. Devant sa porte, engoncée dans ma peau d'homme et n'ayant acquis de l'éducation masculine que quelques rudiments, je restais immobile, n'osant faire un geste. Elle inclina la tête en souriant, je l'imitai gauchement et tournai aussitôt les talons, affreusement gênée.

Dans le prochain épisode, saint Matthieu prendra une nouvelle dimension.

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