L’enfant est couché dans son lit. Comme tous les soirs, il attend que ses parents viennent l’embrasser. Il les entend discuter dans la cuisine dans le joyeux tintamarre des casseroles et des assiettes.
Il aime cette attente.
Parfois, lorsqu’ils tardent trop, il les rappelle à l’ordre, il a toujours peur qu’ils ne l’oublient.
Ce soir, c’est son père qui pénètre le premier dans sa chambre pour le baiser nocturne. Il n’a pas encore eu le temps de se changer et il porte les odeurs du dehors, étrangères à son univers. Il n’ose pas le lui avouer mais l’enfant n’aime pas cette odeur de travail que son père ramène à la maison…
Pourtant, il noue ses petits bras tous fins autour du cou de l’adulte et respire, ravi et rassuré, quelques lointaines effluves du parfum de sa mère. Son papa lui souhaite bonne nuit et quitte la chambre en cédant la place à Maman.
Maman est souriante aujourd’hui.
Elle a ri avec lui, ils ont même joué aux petits chevaux.
Dans ces moments-là, il trouve qu’elle est la plus magnifique de toutes les mamans. Il la regarde, les yeux émerveillés, emplis d’un amour infini…
En secret, il l’appelle « Ma Femme ».
Il sait bien qu’elle ne sera jamais sa femme, à son âge, on sait que l’on ne peut pas se marier avec sa maman, n’empêche, quand elle est belle comme ce soir, il se plaît à imaginer…
Lorsqu’elle se penche au dessus de lui, il l’attrape par le cou et lui baise les lèvres, tout doucement.
- - Tu es un peu grand pour les bisous sur la bouche maintenant, lui souffle-t-elle.
- - Pourquoi ? s’étonne-t-il.
Oui au fond, pourquoi ?
Elle lui ébouriffe les cheveux, chatouille son petit nez et murmure :
- - Pour rien.
- - Maman, demande l’enfant, ça veut dire quoi, papillonner ?
- - Papillonner ? Eh bien, ça veut dire aller de fleur en fleur sans se décider vraiment à en choisir une. Comme font les papillons, tu vois ?
- - Est-ce que les gens papillonnent ? reprend-il.
Sa mère le fixe, surprise et amusée :
- - Pourquoi demandes-tu cela ?
- - Parce que la concierge, elle m’a dit qu’avec des yeux comme les miens, c’est sûr que quand je serai grand, je papillonnerai comme papa.
Stupeur.
Silence.
Menace.
Le ciel de l’enfant se voile d’un seul coup. Maman ne sourit plus, ses yeux ont perdu de leur douceur, son visage détendu s’est durci, elle le couche violemment sans même un baiser, éteint la lumière et sort en fermant la porte.
Il entend ses pas qui s’éloignent.
Elle est fâchée, il ne comprend pas pourquoi. Il voudrait la rappeler, s’excuser, mais il n’ose pas.
Etendu dans son lit, c’est à peine s’il s’autorise à respirer normalement. Son cœur fait un tel boucan qu’il n’arrive à rien écouter d’autre.
C’est ça le problème avec Maman. Un coup elle sourit et pouf, l’instant d’après elle est fâchée.
Au loin, il parvient à entendre les éclats de ses parents. Sa mère a cette voix stridente qui le terrorise, son père gronde.
Pour la troisième fois cette semaine, la Querelle s’est invitée dans la maison et dépose sur le front de l’enfant son baiser du soir.