Magazine Journal intime

La Prostate Et Le Congélo.

Publié le 29 janvier 2008 par Mélina Loupia
Puisque dÊsormais j'assouvis mon besoin de nicotine dans le cellier, la pièce fÊminine par excellence, il faut bien tuer quelque chose de bon pendant que le ma cigarette se consume.

L'autre soir, Copilote et moi en étions à ce stade précis de la première bouffée. Lui assis sur un des deux tabourets du bar réquisitionné devant l'évier et moi appuyée contre le lave-vaisselle.

Quand mes yeux s'arrêtent net sur le bas du congélateur.
Les joints du carrelage avaient pris une couleur brune.

"Merde, t'as vu en bas du congélo? C'est quoi?
-Oh putain il fuit?
-Oué mais t'as vu c'est marron."

Curieuse puisque fille, je trempe mon index dans cette espèce de soupe froide et le porte à mon nez. Vierge. Je passe ensuite à l'étape d'identification tactile et fais glisser le liquide de mon index sur mon pouce. Rien, aucun relief ni consistance particuliers.

"On dirait de l'eau rouillée?
-Mais si c'est ça, ça peut pas venir du congélo, mais plutôt du cumulus.
-Attends, il est neuf le truc, il peut pas nous péter dans les doigts maintenant!
-Oh tu sais, les appareils, aujourd'hui, c'est quasiment du jetable hein."

Un regard complice, nos deux clopes balancées dans le cendrier sans les écraser, afin qu'elles finissent la conversation à notre place et nous voilà en train de déplacer le congélateur. Aussitôt, le coupable avait été dévoilé, tout comme un tas d'immondice de déchetterie.

"Pu-tain je comprends l'odeur ambiante ici de vieux bistrot.
-Passe-moi le lave-vitres et du Sopalin.
-Tu m'appelles quand t'as fini, sinon je fais faire demi-tour au lapin en sauce de ce soir là.
-Merci, je vois le soutien mutuel et constant dans le couple."

La cachette renfermait ce que j'ai pu identifier comme de vieilles crottes de chat réhydratées par la fuite encore mystérieuse, des bouchons de bouteilles de lait, des pelotes de poils des même chats chieurs, des bris de verre, une chaussette de sport encore entière mais moisie au dernier degré, le tout baignant dans une vieille urine de ces bâtards de chats chieurs et poilus.

Je ramasse en apnée ce petit tas gluant et vais le jeter dans les toilettes. Après quoi je fais place nette et sèche.

Copilote refait son entrée.

"Regarde le siphon du cumulus, il est à gaver de calcaire, je te dis pas dans le bol.
-Ne me dis pas, je vais vomir le lapin à ta place et je reviens."

En effet, le contenant attestait du sens de la déduction implacable de Copilote qui a détartré et remonté l'ensemble avant de le serrer à fond.

"Voilà, si ça fuit encore ça pourra pas être le cumulus.
-Je pense plutôt que c'est le congélo.
-Franchement, ça m'étonnerait, je vois pas d'où il peut fuir, tout est bien pris dedans et on l'a dégivré y a pas longtemps.
-Oué, mais imagine, quand tu l'as acheté, il avait déjà quatre ans. Jérémy venait de naître. Même si on a pas son acte de naissance, on peut imaginer qu'il a au moins dix-huit ans l'engin. Comparé au lave-linge qu'on a pas gardé deux ans avant qu'il crève, au sèche-linge qui s'est fait sauter le caisson au bout de quatre et de l'aspiro qu'a coulé sa bielle en trois ans, ce serait plutôt normal qu'il ait plus envie de vivre au bout de vingt.
-Mais tu le sais, les appareils de hier étaient plus costauds que ceux d'aujourd'hui. Bon, on verra, allez, je vais au pieu."

Et il me plante là, séchant sur pied.
Et pendant que j'en allumais une dernière, faisant exploser le quota imposé de dix unités par jour à quatorze, je me mets à réfléchir sur le sens de la vie de l'objet.

Il n'est pas possible qu'un objet ne vive pas.
On lui donne naissance un jour, on l'utilise, il vit avec nous et un jour, comme nous, il meurt, sans souffrir certes, mais avec le même sort, hasard que la mort donne en frappant.
Ainsi, comme il y a malheureusement des enfants qui succombent à la maladie tout comme des séniors qui s'éteignent paisiblement dans leur sommeil à l'aube de leurs cents ans, pourquoi mon congélateur ne commencerait-il pas à décliner, entrer dans l'âge d'or et demander sa retraite anticipée pour laisser la place à un petit jeune moins gourmand, plus malléable mais certes au contrat de vie plus précaire que le sien?
En dix-huit ans de vie supposés, combien de fois s'est-il vu violé dans son intimité, alors que sans sonner ni frapper, on lui a ouvert sa porte pour le vider de ses entrailles qu'il nous réservait? Des milliers probablement par dizaine. Combien de déménagement lui avait-on fait subir, en le déracinant de lieux que probablement il affectionnait plus que les précédents? Combien de toilettes poussées avait-il subies? S'il était malade maintenant, comment lui expliquerait-on qu'on ne puisse pas lui payer la visite médicale et encore moins le traitement adapté? De quel mal souffrait-il?

Le lendemain matin, alors que je me réservais la première bouffée seule, dans le froid de ce cellier pourtant isolé, je m'aperçois que le carrelage est sec.
Ainsi, la fuite provenait bien du trop-plein du cumulus.
Le congélateur n'y était pour rien.

"Ouf, ni l'un, ni l'autre, de toute façon, on peut même pas changer le congélo alors le cumulus je te dis pas.
-C'est con tout de  même.
-Pourquoi?
-J'étais persuadée que ça venait du congélo vu qu'il est vieux.
-Bé non, il a que vingt ans hein.
-Mais pour un appareil, c'est vieux.
-Tain, imagine que j'ai vingt ans.
-Difficile.
-Bref, imagine bien que j'ai vingt ans, ça te ferait flipper que j'aie des fuites non?
-C'est clair, la prostate à cet âge.
-Alors tu vois, à vingt ans, même pour un appareil ménager, on a la vie devant soi."

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