Cloclo clôt...

Publié le 11 mars 2011 par Cjhenry

  À Leysin (Suisse), le 10 mars 1978...

   Mes parents se souviennent précisément et respectivement de l'endroit où ils se trouvaient et de ce qu'ils étaient en train de fabriquer lorsque la nouvelle leur est tombée dessus, nette, sèche, sans appel : Kennedy est mort (à ce propos, la scène émouvante dans Diabolo menthe, le film sucré de Diane Kurys). Quant à ceux de ma génération et à moi-même - j'aurai quarante-cinq ans cette année -, nous avons encore en mémoire le décor et les circonstances dans lesquels on a appris la disparition de... Claude François !

   C'était un samedi après-midi, agréable, ensoleillé, printanier, prometteur... Après un repas familial animé (11 mars 1978, veille du premier tour des élections législatives ; Mother et Father croyaient en la victoire de la gauche, celle de l'antique Programme commun, en même temps qu'ils la redoutaient), partie de football avec les copains du quartier puis, vers 16 heures, retour à la maison, brin de toilette, goûter, et télévision ; une émission animée par Pierre Douglas, un chansonnier populaire imitant à la perfection l'inénarrable Georges Marchais, et par Denise Fabre, l'une des speakerines les plus en vue de la « première chaîne », comme on disait... Soudain, interruption du programme pour un flash spécial ; en substance :  « Claude François est mort. Il s'est électrocuté dans sa baignoire. Le chanteur avait 39 ans. »  Parti en un éclair, Cloclo, l'éclair, comme le symbole prémonitoire de sa maison de disques, et en un éclair les temps heureux et libres explosant dans les airs telles les bulles savonneuses de notre enfance, parfaites, translucides, aux reflets arc-en-ciel, disparues pour toujours dans des cieux décidément insatiables... (1) Attention les enfants, strass et paillettes, naguère dévolus au seul spectacle, ne vont pas tarder d'investir la réalité...  

   Philippe Sollers note dans son Carnet de nuit (Plon, 1989) : « 68-78 : énorme liberté d'ensemble. Avant, c'est avant, et après, après. De quoi écrire cinquante romans. » En effet... 1978 : année noire (dans tous les sens du terme), et année prophétique (dans le mauvais sens du terme) : Khomeiny précipite les préparatifs afin de quitter la république giscardienne et Neauphles-le-Château (l'agressive Marguerite Duras a sûrement dû croiser le barbu) pour retrouver Téhéran (on connaît la suite) ; l'Afghanistan savoure ses derniers mois de calme et de stabilité (relatifs) avant que, l'année suivantes, les troupes soviétiques n'y installent l'enfer (jamais elle ne s'en relèvera) ; l'Amoco Cadiz débarque sa chiasse visqueuse sur les côtes bretonnes (nom du parfum créé par l'homme d'affaires Claude François quelques années plus tôt : Eau noire) ; la presse enterre Brel avant même qu'il ne décède officiellement (9 octobre 1978) – au fait, c'est étrange, impossible de me souvenir de l'endroit où je me trouvais et de ce que j'étais en train de fabriquer lorsque j'ai appris le départ du grand Jacques, et mon petit doigt de me souffler que je ne suis pas le seul dans ce cas de figure...

   Le 11 mars 1978, vers quatorze heures trente, du côté du Boulevard Exelmans, à Paris, où pourquoi on n'a jamais oublié l'atomisation d'un couplet et d'un refrain très entraînants et très rythmés, très merdiques aussi, et, partant, l'évanouissement dans la nature (humaine) hostile d'une certaine joie de vivre, tel un adamantin filet d'eau salée englouti par le sable brûlant...

   Et toi, te souviens-tu de cette plage à l'écart ? Tu riais aux éclats, j'imitais le chanteur avec une reprise de Magnolias for ever, plus Benoît Poolevorde que moi tu meures, puis nous avons fait l'amour sous le soleil brûlant et les mouettes rieuses, et nous avons longtemps regardé la mer, en silence... Nous étions seuls au monde, seulement toi et moi contre le monde entier – que n'écrirait-on pas pour un simple exercice de style...

   (1) Au moment où j'achève de rédiger ces quelques lignes futiles (quoique), j'apprends que l'incompréhensible Dame Nature vient de se retourner contre le Japon.


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