C’est comme çà le vendredi, je me demande ce que je ferais si jamais la chance venait à sourire. La somme cette semaine est énorme : pensez, 80 millions… Que peut-on bien faire d’une somme pareille ? Sans doute peut-on s’offrir quelques plaisirs : moi, j’irais voir mon banquier pour lui montrer le chèque et lui annoncer que je solde tous mes comptes. Je sais, c’est pervers, mais il m’a exploité tant d’années que je ne pourrais résister. Ensuite ? Un Pétrus, ou non, un Clos Vougeot d’une bonne année. Un abonnement à vie à la Comédie Française. Non, pas de grosse bagnole, ni de petite d’ailleurs. Arrêtons l’inventaire, difficile d’épuiser une pareille fortune avec ces plaisirs là.
J’ai souvent pensé à quelques projets. J’achèterais quelques appartements dans des beaux quartiers pour les louer, à vil prix, à des gens dont ne veut pas dans ces endroits là. Oui, encore un petit plaisir, pervers lui aussi. Celui-là, c’est vrai, est à même d’engloutir une bonne partie de l’argent qui me serait tombé dessus. Ce serait moral, n’est ce pas ? Et puis, avant de fermer mon compte j’y mettrais un peu d’argent, ce qu’il faudrait pour retirer une somme assez importante en petites coupures dans l’intention d’aller les distribuer à tous ces fantômes que l’on croise faisant la manche dans le métro ou ailleurs.
Et puis tiens, je m’offrirais quelques toiles d’artistes inconnus. Cela m’obligerait à y consacrer un peu de temps, à les trouver, à chercher les œuvres qui me plairaient car je me fous de l’investissement, de ce que çà pourrait rapporter à mes héritiers.
Et il est temps que j’en vienne à ce qui m’a fait l’écrire, en pensant à le publier ici. Avec une telle fortune, je ferais imprimer quelques milliers d’exemplaires de mon roman. Je ne sais pas lequel d’ailleurs, car « Addiction » n’est pas à lire et « Crime passionnel » est dans une mauvaise passe. Peu importe. Je le distribuerais à qui le voudrait, sur les places publiques, sur les marchés entre les choux et les poireaux, dans les couloirs du métro, dans les aéroports pourquoi pas. Quelques uns de ceux qui le recevraient le liraient, et forcément il s’en trouverait pour le trouver excellent, pour le qualifier de chef d’œuvre quelles que soient en réalité ses piètres qualités. Mais tant que j’y suis, j’en profiterais pour imprimer aussi quelques textes trouvés sur internet dont les auteurs ont probablement quelques polies lettres d’éditeurs en réserve. Je pourrais même me faire éditeur. Mais alors, il me faudrait embaucher de vrais professionnels, je ne suis plus sûr d’y prendre encore plaisir. Bah, une maison d’édition, il y a pire comme danseuse.
Ah, que de rêves… Au moment où je recopierai ce texte sur internet, ils se seront déjà évanouis, je ne serais pas l’heureux, ou malheureux, gagnant de cette somme faramineuse. Ce n’est pas grave, je pourrais encore dépenser deux euros pour me payer une tranche de rêve la semaine prochaine.
Et y retourner, même si ce n'est guère le moment