Magazine Humeur

C’était, il y a 100 ans …

Publié le 12 mars 2011 par Perceval

"Je veux secouer les gens, et je veux faire comprendre que l'homme n'est pas, de droit divin, un être démocratique. Que la démocratie a été une création, une conquête de l'histoire, qu'elle est constamment en danger et que d'ailleurs elle est en train de ficher le camp" Cornélius Castoriadis 1922-1997

 Il y a 100 ans:

- La politique est partout, à la ville, dans les villages, au salon et dans les bistrots. On discute la «  République idéale ». On délibère sur la nature des institutions, on s’affronte sur la nature de la laïcité.

«  Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils auront à concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; qu’ils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur chronique de guerre civile et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature même passagère une trêve funeste et un lâche repos »

proclame Jean Jaurès dans son discours d’Albi à la jeunesse, le 30 juillet 1903


- La guerre est omniprésente, malgré les apparences… La violence, c’est encore l’épineuse question sociale… L’Europe connaît une profonde dépression économique dans les années 1870-90. La violence c’est aussi c’est aussi celle de la conquête coloniale, pour des raisons économiques, comme substitut à «  la défaite », mais aussi comme prolongement de la mission civilisatrice dont les républicains sont porteurs …

Après l’idée de la Révolution, c’est l’idée de la République qui devient une pensée collective pour une démocratie en marche. La République , en France, est un principe d’émancipation, autant qu’un régime de pouvoir

« Si la politique démocratique n’a plus d’horizon révolutionnaire, elle a encore un horizon républicain. Contre la propension à penser l’humanité comme essentiellement hétérogène, divisée en race, en classes, voire en sexes, l’idée républicaine rappelle la possibilité d’une communication rationnelle entre les hommes et l’unité en droit de l’humanité. Contre l’indifférence d’une société atomisée et apathique, elle maintient que la participation aux affaires publiques est une forme précieuse de l’engagement humain. » Mona Ozouf (Mona Ozouf, née en 1931, est une chercheuse française, philosophe de formation, qui s'est ensuite redirigée vers l'histoire et spécialisée dans la Révolution française )...

Aujourd'hui:

Une démocratie en quête de république

Repenser la démocratie, sous la direction d’Yves Charles Zarka.Éditions Armand Colin, 2010

Presque partout des oligarchies gouvernent au nom du peuple, mais certainement pas par lui, et souvent contre lui. Les démocraties sont aujourd’hui, à de rares exceptions près, dirigées par des gens qui ne sont pas des démocrates.

En tâchant de se donner une autre raison, économique, l’État moderne ruine la légitimité politique sur laquelle il s’appuyait depuis sa naissance. Le modèle de l’entreprise l’a emporté au point que l’État exemplaire n’est plus celui qui assure un service public satisfaisant mais celui dont le bilan financier est comparable à celui d’une entreprise cotée en Bourse et qui contente les marchés. Ce faisant, c’est la légitimité même de l’État ainsi privatisé qui est ruinée.

Yves Charles Zarka, à partir d’une distinction établie par les penseurs médiévaux entre la tyrannie par défaut de titre (l’usurpation) et la tyrannie d’exercice (l’arbitraire), distingue une légitimité de titre (donnée en premier lieu par le système électoral) et une légitimité d’exercice. Une « Cour de légitimité d’exercice » statuerait sur l’adéquation entre les promesses des candidats et les actions menées une fois qu’ils seraient parvenus à leurs postes de responsabilité. Il ne s’agirait pas d’une révocation à tout instant (projet irréalisable et qui aboutirait au chaos), mais d’une vérification des décisions comme il y a déjà une vérification des comptes par une cour spécialisée. D’autres pistes sont à explorer. La démocratie n’est pas un modèle établi une fois pour toutes, mais un processus indéfini.

Yves Charles Zarka est professeur à la Sorbonne, Université Paris Descartes, chaire de philosophie politique. Il a fondé et dirigé au CNRS le Centre Thomas Hobbes (1990-2002), il a également dirigé dans cet établissement le Centre d'Histoire de la Philosophie Moderne (1996-2004). Il dirige actuellement l’équipe PHILéPOL (= Philosophie, épistémologie et politique) de l’Université Paris Descartes dont les recherches portent sur le « Monde émergent », c’est-à-dire les mutations considérables qui s’opèrent dans le monde contemporain.

Il écrit:

" Mais dira-t-on, de nombreuses réformes ont été faites depuis 2007 qui attestent une vision du pays et de son avenir. En vérité, il n’en est rien. Ces prétendues réformes n’ont été que des façons diverses de tyranniser les institutions, les secteurs d’activité et le pays tout entier. Elles ont consisté pour l’essentiel à détruire des pans entiers du secteur public ; à privatiser à outrance des organes et des fonctions de l’Etat ; à paupériser l’éducation nationale ; à installer, sous le beau nom d’autonomie, une bureaucratisation généralisée des universités et de la recherche et à tenter de mettre au pas les universitaires par un dispositif d’évaluation-contrôle stérilisant ; à remettre en cause une bonne part des missions de l’hôpital ; à chercher à instaurer une justice sous tutelle. Il n’y a là aucune ambition pour le pays. Il n’y a que la mise en pratique d’une conception managériale de la société tout entière qui atteste que les gouvernant actuels, aveuglés par leurs ambitions personnelles et leurs rivalités, parfois même simplement par leur ignorance, ne savent pas ou ne savent plus ce que « politique » veut dire. Le détournement intellectuel et la recherche d’effets d’annonce et d’effets de communication se sont substitués à toute réflexion en profondeur sur les besoins du pays, sur la recherche des solutions aux injustices les plus dramatiques, sur la place de la France en Europe et dans le monde."

(Article paru dans Le Monde, dimanche 30-Lundi 31 janvier 2011)


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