Une visite au Louvre

Publié le 29 janvier 2008 par Ali Devine

Catherine et moi allons au Louvre avec notre classe de cinquième, voir la peinture française du Moyen-Âge. Seuls douze élèves se présentent, sur vingt-deux. Quatre sont en classe de neige ; il est possible qu'un ou deux autres soient malades ; mais je pense que la plupart sèchent délibérément pour ne pas avoir à se lever une heure plus tôt que d'habitude. Ma collègue et moi-même, nous nous réjouissons sans le dire de cette fonte des effectifs : la plupart des boulets sont restés chez eux, tout devrait bien se passer.

En sortant du métro.
-Monsieur, c'est le Louvre ici ?
-Pas vraiment, Rafiq. C'est le Carrousel. Ce sont des magasins qui se sont installés ici pour profiter du passage des touristes.
-Ah ouais, c'est un genre de galerie commerciale.
-Si tu veux. Une galerie commerciale de luxe, tout de même (nous passons entre la boutique Swarowski et la parfumerie Prout-prout-ma-chère).
-Genre si on crache par terre on a une amende ?
-Ne crache pas par terre.

Au vestiaire.

-Ya ton étiquette qui dépasse, ma cocotte.

-Monsieur, j'arrive pas à enlever mon manteau, ma manche elle coince.

-Mais forcément, si tu t'y prends comme ça ! Allez, tire. Voilà, ça y est.

-Eh msieu, on peut aller aux toilettes ?

-Mais tu pouvais pas y penser tout à l'heure, non ? Maintenant c'est trop tard. -Vous dites bonjour à la dame ?

-Bonjour madaaaaaame !

Ce sont des enfants. Parfois j'ai l'impression que ce sont un peu les miens.

J'observe devant notre groupe le chapeau de feutre mauve d'une dame un peu hautaine, une mère d'élève venue accompagner les petits chéris d'une bonne école primaire. Tout autour de nous, des dizaines d'enfants, de sept à seize ans. Brouhaha, mouvement de foule. Chaque fois que je viens ici, je me demande s'il faut se réjouir ou se lamenter de cette invasion du musée par les scolaires. De neuf heures à onze heures et demie, le département des Antiquités égyptiennes devient par exemple une gigantesque cour de récréation, où il est impossible de se faire entendre sans hurler. Et aujourd'hui encore, nous ne pourrons pas voir le portrait de Jean le Bon, qui était pourtant l'un des objectifs de notre visite : une trentaine de très jeunes enfants accroupis pépie sous le profil goguenard du roi pendant que leur maîtresse discute avec la conférencière.

Devant la Crucifixion du Parlement de Paris, du Maître de Dreux Budé. La conférencière explique que le peintre, pour faire plaisir à son commanditaire, a représenté à l'arrière-plan différents bâtiments parisiens dont le Louvre.

Vera se tourne vers moi, l'air inquiète et perplexe.

"Mais msieu, j'y comprends rien. J'croyais qu'on était dedans ?"

Plus tard, on attire leur attention sur un détail pittoresque, un petit bichon qui se tient aux pieds de saint Denis décapité.

Rafiq : "Y avait des chiens au Moyen-Âge ?"

Il y a décidément trop de bruit et nous décidons d'aller plutôt voir les objets d'art. On s'arrête devant un reliquaire du lait de la Vierge.

"Quelqu'un sait ce qu'est un reliquaire ?

-Ouais, c'est quelqu'un qui vous change votre apparence, vos cheveux, vos habits... elle vous relooke, quoi !"

Pourtant, Catherine et moi sommes surpris, fiers et presque émus : ils savent des choses. Ils connaissent la vie de Jésus dans ses grandes lignes et le rôle de l'Église au Moyen-Âge. Ils savent ce que c'est qu'un sceptre, un pèlerinage, le patrimoine ; ils peuvent expliquer ce que veut dire "Golgotha". Ils ont compris la façon dont les peintres du XVe siècle donnaient de la profondeur à leurs tableaux. Tous écoutent, la plupart prennent des kilomètres de notes, la majorité sont sincèrement intéressés ; quelques-uns regardent les oeuvres -y compris celles qu'on ne leur montre pas. On n'a pas sué pour rien.