Trente ans apres Le Nom de la rose, vendu a 16 millions d'exemplaires, le Professore revient au roman, deja plebiscite en Italie sur fond de polemique...
Umberto E Umberto Eco s'etait jure de ne plus jamais toucher au roman. Mais on sait ce que vaut la parole d'un ecrivain, surtout s'il est titille par la reussite d'un confrere. Or on ne peut s'empecher de penser au succes fracassant du Da Vinci Code en decouvrant le nouvel Opus de l'auteur du Nom de la rose et du Pendule de Foucault, qui prend explicitement Dan Brown a contrepied dans les explications qu'il a deja fournies tres abondamment, en Italie, sur les tenants et les visees de son nouveau roman.
"Le dix-neuvième siècle regorge d’événements plus ou moins mystérieux", expliquait-il ainsi aux libraires italiens avant la parution du Cimetiere de Prague, en octobre 2010. Et de citer plus precisement les Protocoles des sages de Sion, célèbre faux qui incita Hitler à mettre en place l’Holocauste, l’affaire Dreyfus et de nombreuses intrigues impliquant les services secrets de plusieurs nations, des loges maçonniques, des conspirations jésuites, ainsi que d’autres épisodes qui, s’ils n’étaient avérés, inspireraient des feuilletons comme ceux d’il y a 150 ans." Et de justifier ainsi un récit à épisodes dont tous les personnages – protagoniste mis à part – ont réellement existé.
Seul personnagede fiction du roman, eminemment antipathique il faut le dire,: le redoutable Simone Simonini, espion et faussaire pathologiquement antisemite, auteur de diverses machinations et complots qui se multiplient sur un arriere-fond fuligineux de maauvais coups en tous genres ou satanistes hysteriques voisinent avec aventuriers masques, l’ouvrage ajoutant a ce cote feuilleton populaire la touche d'illustrations rappelant les feuillerons du XIXe.
Visant a la fois la lecteur naif "qui a pris Dan Brown pour argent comptant", avec un personnage principal qu'il voulu "le plus cynique et le plus exécrable de toute l’histoire de la littérature" le maestro retors dit s'adresser aussi a celui qui sait qu'il relate des faits avérés et se dira peut-etre en tremblotant: « Ils sont parmi nous… »
Une polemique carabinee
Apres la parution du Cimetiere de Prague en Italie, une virulente polemique a incrimine l'antisemitisme, peut-etre involontaire mais non moins manifeste, selon ses detracteurs, de cet ouvrage revenant, apres Le Pendule de Foucault ou le fameux faux etait deja cite, sur les Protocoles des sages de Sion.Pour qui l'ignorerait, cet ecrit, paru en Russie en 1903, et fabrique de toutes pieces, pretend demontrer un complot des Juifs pour la domination du monde...
Or, Umberto Eco a beau reconnaitre que cet ecrit est un faux qu'il cite pour demonter les cliches antisemites: ses détracteurs lui objectent que sous sa plume, «le faux semble devenir vrai dans un contexte où tous les documents sont faux quoique vraisemblables, ou tous les acteurs sont doubles et triples, et où la confusion entre le vrai et le faux règne souverainement». C'est du moins ce que lui a reproche Anna Foa, intellectuelle respectee dans la communaute juive romaine, dans Pagine ebraiche, suivie par la theologienne Luciana Scaraffia dans L'Osservatore romano, qui affirme que «Les continuelles descriptions de la perfidie des Juifs font naître un soupçon d'ambiguité.»...
De tel debat largement mediatise (la confrontation du Professore avec le rabbin de Rome Riccardo De Segni, dans L'Espresso) a telle autre demarche d'auto-justification menee en Israel, Umberto Eco a eu l'occasion de defendre sa these, selon laquelle le monde a besoin de ces ennemis qui sont les «autres», qu'ils soient Cathares ou Albigeois, massacrés par l'histoire, ou encore Juifs, qui, eux, ont réussi à résister partout. Et sont alors devenus les «différents» par excellence...
L'art du faux
Le Cimetiere de Prague celebre l'art de falsifier la realite, duquel participe plus ou moins tout ecrivain. Mais Umberto Eco, on le sait, aime jouer avec les formes les plus sophistiquees et les plus "vraisemblables" du faux, qui n'en finissent pas de seduire les gogos de toutes les cultures, jusqu'aux plus "rationnelles" en apparence.
Dans la foulee du Da Vinci Code, qui jouait sur des interpretations et des extrapolations douteuses, non moins que fumeuses, de l'histoire chretienne, l'auteur du Nom de la rose fait assaut de tout son savoir, assurement enorme, et non moins envahissant en l'occurrence, pour etayer un roman "populaire" abracadabrantesque, dont le fil rouge est la manipulation.
Le lecteur se passionnerait-il pour ce tableau noirci par le regard systematiquement corrosif d'un protagoniste pathologiquement anti-jesuite, anti-maconnique et anti-semite, si l'auteur ne portait pas le nom d'Umberto Eco ? Le lecteur libre d'esprit en jugera...
Umberto Eco. Le cimetiere de Prague. Traduit de l'italien par Jean-Noel Schifano. Editions Grasset.