À 17h heure française le lundi 14 mars, une dépêche AFP apparaît discrètement dans le tohu-bohu politico-médiatique français. Non il ne s’agit pas d’une énième bourde d’Eric Besson quant à ses dires apaisants sur les centrales nucléaires japonaises mais, cette fois-ci, d’une confirmation. Dans un sondage Ipsos à paraître jeudi prochain dans Le Point, Dominique Strauss-Kahn confirme la hausse de sa popularité (+ 13 points en mars à 63% d’opinions favorables) et est largement en tête des hommes et femmes politiques de tout bord. De l’autre côté de l’échiquier se déroule aussi une nouvelle cristallisation politique, celle de Marine Le Pen (+ 3% en un mois à 32% d’opinions favorables). En moins de deux mois, la présidente du Front National est arrivée à un niveau jamais égalé par son père en 40 ans de carrière.
Nous sommes ainsi le 14 mars 2010 et la droite possède Sarkozy (François Fillon l’ayant même confirmé) ; l’extrême droite a sa Marine Le Pen ; l’extrême gauche a son « bruit et (sa) fureur»; mais la gauche hésite encore à se trouver un véritable leader. La faute à un Dominique Strauss-Kahn qui aime se faire attendre. Loin des caméras et des problématiques franco-françaises qui se déroulent au Parti Socialiste, Dominique Strauss-Kahn prend place sur l’échiquier politique français à 14 mois des élections présidentielles sans véritablement se prononcer sur son avenir politique. Il le garde pour lui. Bien sûr, un mot et il peut déjà préparer ses bagages, le FMI étant assez stricte lorsqu’il s’agit d’un directeur bavard. À quelques mois de la fin des candidatures des primaires au Parti Socialiste, une véritable chasse au trésor s’est emprise des journalistes français : deviner, monter des hypothèses, fouiner, trouver la petite bête qui pourra conclure sur la candidature ou non de Dominique Strauss-Kahn aux primaires socialistes. Qu’apporte alors le documentaire de Canal + diffusé le dimanche 13 mars (ci-dessous en entier) ?
Dominique au foot, Dominique en cuisine, Dominique au FMI, Dominique étend son linge, Dominique parle avec Bill Clinton. Ici, l’intérêt n’est pas au travail ni aux actions mais à la proximité qui existe entre Dominique Strauss-Kahn et la caméra et, par conséquent, les français. Car l’on peut s’interroger sur le moment qu’a choisi le directeur du FMI pour qu’il accepte qu’un journaliste, le grand reporter Nicolas Escoulan, lui colle aux basques pendant près d’un an (en réalité de mars à octobre 2010, les derniers mois étant utilisés pour monter le documentaire). En effet, même s’il peut apparaître que le documentaire ait été façonné à partir de mars 2010, il donne la mesure d’un homme politique qui n’est plus dans l’hésitation : quelle en serait l’utilité pour un homme finissant sa carrière au FMI en 2012 ? De plus, il est intéressant de voir dans la forme du documentaire, plus particulièrement ses intervenants, l’incarnation d’une véritable main mise de Dominique Strauss-Kahn sur le contenu. Il est en effet le seul à être interrogé, excepté sa première conseillère – Anne Sinclair, et son conseiller en communication, Stéphane Fouks, de l’agence Euro RSCG.
Au FMI depuis le 1er novembre 2007 et alors qu’il peut paraître hésitant sur la scène politique française, Dominique Strauss-Kahn se donne, le temps d’un documentaire, l’image d’un dirigeant d’Etat sachant prendre des décisions même lorsqu’elles sont difficiles. La crise économique va le révéler, lui donner une carrure et une stature de leader d’une institution économique ayant un budget annuel de plus de 700 milliards de dollars. Et pour la première fois, l’institution multilatérale créée en 1944 va intervenir en Europe, et en Grèce plus particulièrement. Alors que nombre de citoyens grecs perçoivent le FMI et son directeur actuel comme le fossoyeur des pays par sa politique capitaliste outrancière, en France il n’en est rien : sa côte de popularité est à son apogée et sa prise lointaine de décisions lui permette d’avoir les coudées franches pour « donner du temps au temps » et se construire une carrure au fil des soixante pays qu’il a traversé.
440.000 kilomètres qui lui ont fait « retourner à l’école ». L’objectif du documentaire est évidemment la communication d’un politicien se voulant à la fois proche des français et ayant la carrure d’un chef d’Etat alliant. Comme il le dit si bien avec un sourire mystérieux, le FMI lui permet d’entrevoir « l’économie d’un côté, la politique et l’action. Un mélange qui me convient bien ». À la différence d’un Charles de Gaulle qui avait connu une véritable « traversée du désert » entre 1953 et 1958 après sa défaite aux élections locales – lui permettant de rédiger ses mémoires, Dominique Strauss-Kahn ne ressasse pas le passé depuis sa défaite aux primaires du Parti Socialiste face à Ségolène Royal en 2006.
En donnant une forme et une visibilité à son mandat, méconnu des français, de Directeur général du Fond Monétaire International, Dominique Strauss-Kahn, sans pour autant se déclarer ouvertement candidat à l’élection présidentielle, vient d’envoyer un message clair aux français : le retour au bercail est pour bientôt. Et une nouvelle séquence politique française vient ici de s’ouvrir, sous les yeux des téléspectateurs de Canal + en ce dimanche 13 mars. Candidat ? Assurément.