Magazine Journal intime

Délivrance

Publié le 15 mars 2011 par Cjhenry

(Ex)citations

Aqua (Crédits photographiques : CJH.)

   « Plusieurs esprits humains ne s'unissent point en un esprit collectif, et les termes d'âme  collective, de pensée collective, si couramment employés de nos jours, sont tout à fait vide de sens. Dès lors, pour que les efforts de plusieurs se combinent, il faut qu'ils soient tous dirigés par un seul et même esprit, comme l'exprime le célèbre vers de Faust : “Un esprit suffit pour mille bras.” » Simone Weil in Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale (1934, publié en 1955)

   Là où je suis et là où j'en suis, personne ne viendra me chercher, à tout le moins me tendre la main, fût-elle pleine d'épines, comme souvent. Je viens en effet d'atteindre un point de non-retour, une zone occupée par les soldats de l'Éternité, une région marécageuse et ténébreuse aux dires des morts-vivants, celles et ceux qui stipulent et diffusent que tout est politique, en vérité une surface et une profondeur très calmes et très claires...

   Au temps béni de mon vivant chaotique, les voiles trouées et le safran rouillé de ma folle embarcation m'ont surtout dirigé vers le rivage de la fête et du plaisir : les vins capiteux y arrosaient les viandes grasses ; l'eau filante y était toujours fraîche et les arbres élégants toujours verts ; les enfants y vivaient comme de vrais enfants qui ne côtoyaient pas encore les pères déchus, les mères énervées, l'honneur de la patrie régénérée au drapeau maculé de merde et de sang, l'horreur de la maladie, sans parler de la sueur de l'effort et de la fureur de l'exil – à ce propos, peu avant l'avènement du saint innocent, n'évoque-t-on pas, déjà, à l'endroit de la parturiente des vocables aussi effrayants que travail et expulsion ?

   Autrefois, là-bas, en un cénacle aristocratique mais démocratique, le ramage des oiseaux insouciants battait la mesure avec les âges des opéras inconscients, et le fleuve des jours et des nuits coulait et courait, inexorable et rassurant, en charriant des anguilles argentées et des chaloupes enchantées vers un océan de plénitude et de félicité ; bref, on pouvait  bien dormir sur nos deux oreilles, ils s'occupaient du reste – c'est en tout cas ce qu'affirmait la Propagande incrustée via le Journal officiel qui trônait alors sur les tables basses de nos salons azoïques, à côté de la télécommande, lesquels salons où tout le monde communiquait et où personne ne (se) parlait...

   Et ce qui devait arriver arriva. Un sale jour de brouillard, à l'heure du laitier, des représentants de commerce de l'horizon buté débarquèrent sans crier gare pour ôter le rire aux enfants et cracher à la face des familles soudainement saisies d'effroi, puis, plus tard, sur un mode bureaucratique et mécanique, pour les charger dans des serpents métalliques et plombés à destination de la Nuit, de la Nuit englobante et totalitaire... Mais bon, comme nos mémoires ont des trous (noirs), les cénotaphes incompensables ne manqueront pas de faire place à des parcs d'attraction, c'est tout vu...

    Là où je suis et là où j'en suis, détaché de toutes les entreprises et enfin délivré de l'emprise des hommes, je Le vois qui vient à ma rencontre, je Le vois qui s'approche de mon corps et de mon âme flottant sur les eaux réellement tranquilles, je Le vois qui me tend Sa main puis qui m'ouvre Ses bras, et je L'écoute qui m'annonce des jolies choses – faut-il seulement que je Le croie ?


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