Alors je suis rentrée, les mains dans les poches et l'autre qui râle derrière, des minutes entières j'ai regardé dormir l'oiseau ébouriffé et décidément il est trop tard pour me mentir, trop tard ou trop tôt, je suis fatiguée aujourd'hui j'ai cette piqure dans la nuque comme si un pan entier du monde venait s'ébrécher sur le coin de ma gueule. Je suis fatiguée, j'ai envie de te serrer dans mes bras, je remonte, je ne compte plus les escaliers j'ai oublié. J'ai peur, mais personne ne me dit de quoi, c'est juste ce goût dans la bouche, ferraille-sel-bile, quelqu'un a fait un noeud avec mes tripes et pourtant j'vous jure j'avais rien commandé, j'peux pas manger j'ai chaud j'ai froid j'ai mal au dos mais non j'suis pas malade, je crois au final que c'est moi même qui me terrifie, comme si j'allais soudain desserrer les doigts, lâcher prise, je deviens trop sensible quelqu'un m'a aiguisée sur le fil du rasoir, animal peureux et renfrogné dans le fond du terrier je cherche des excuses à cette angoisse paralysante, le plus dur tu vois, c'est encore de les avoir toutes épuisées, c'est rien ça va passer tu sais, ça ira mieux demain, j'ai peur pour hier pour des choses déjà remblayées.
Alors je suis ici et tout va bien mais mon ombre joue l'ogre aux ongles effilés, je ne comprends pas et puis j'ai envie de t'embrasser, j'ai tout imaginé de travers, ça ne fait rien, dors encore, c'est l'infini qui me travaille mais tu sais bien que j'ai la peau dure, j'apprendrai à dompter les tempêtes qui me massacrent le corps, je réciterai les mots doucement pour me tenir debout, je resterai à côté de toi et de temps en temps je te tiendrai la main, juste de temps en temps, je ne suis pas une fille vorace, j'oublie la sauvagerie dans la communion et le bleu vient tirer sur mes joues jusqu'à ce que je sois obligée de rire, je bataille pour de faux sur mon navire qui reprend de l'allure, le vent caresse mon crâne au travers des cheveux trop courts mais hé, je ne suis pas un garçon j'te jure, j'aimerais bien qu'un jour tu regardes autrement dans ma direction. Ou que tu me regardes juste.
Alors j'ai trop parlé, puisque je ne pouvais plus écrire j'ai tout englué de paroles, je me suis emmêlée de salive et j'ai créé des liens que je ne sais pas défaire, j'ai alimenté mes folies bancales à force de remuer la langue, je ne dis pas que j'aurais mieux fait de me taire mais je ne sais pas m'y prendre avec cette intimité, je me prends les pieds dedans, je me mords les joues, je trépigne, je m'agace, j'essaie de tirer sur mes illusions pour qu'elles tombent dans la réalité. Je suis tour à tour susceptible et jalouse, heureuse et libre, timide et complice, impitoyable.
Alors j'ai trop pensé, je me suis rongé les nerfs et j'ai tout démonté pour mieux refaire, je nous ai recollés dans vingt, cent, mille deux cent seize univers, j'ai découpé mes yeux et je les ai postés, je suis devenue aveugle et je suis sûre que le facteur connaît mon écriture, j'ai continué de trop penser je ne peux plus m'arrêter, c'est l'avalanche. Je suis au bout de la faille où tout est presque transparent.
Alors j'ai fait le plein d'espoirs, j'en ai pris beaucoup trop, je les ai plantés dans mon ventre avec de la terre et de l'eau sale et je me suis dit, on verra bien. Ils affleurent sous ma peau et elle crève par endroits, des brassées d'espoirs, des qui vont bien et d'autres qui se tordent, blessés, entre le ciel et l'underground je suis écartelée.
Alors quelqu'un m'a demandé, est ce que t'es amoureuse, et j'ai répondu, bêtement : de qui ?