Alors... Pour te résumer... L'année dernière, à cette époque de l'année, j'étais complètement débordée... Tu l'es toujours ! Oui, mais cela n'a rien à voir ! J'étais sous pression, dépassée. Souviens-toi... Il y a eu cette conversation et puis celle-ci, dépeignant une période où je peinais à trouver ma place en PE2. Période où il fallait entrer dans le moule, adopter le vocabulaire IUFMesque, obtenir l'approbation des IMF pour les validations... Et cette équivalence ECTS qui n'arrivait pas, et ce stage filé où nous étions, tous, en revenant de notre rêve, à la ramasse. Tous ? Le stage filé, c'était nouveau. Comme qui dirait que nous avons dû payer les pots cassés, traités de "vacanciers" par certains formateurs, culpabilisés par les IMF... Eh ben ! Tu nous avais caché tout ça ! C'est bien compréhensible. J'avais, à l'époque, certaines priorités : être validée pour mes stages, être validée pour mon mémoire, être validée tout court ! Alors à cette réunion, nous avions Sophie et moi, un peu déprimées malgré le ton enjoué de notre intervention, encouragé tous les PE1 à partir à l'étranger, tout en ne leur cachant pas que leur retour serait difficile...
C'est ainsi qu'hier soir, alors que nous pénétrons dans l'amphithéâtre, le responsable des Relations Internationales nous saute dessus : "A cause de vous, il n'y en a que cinq qui sont partis !". Argl. Il faut savoir, mon cher Victor, qu'en général, entre quinze et vingt stagiaires partent à l'étranger. Evidemment, là... Cela fait un sacré décalage ! Tu l'as dit. Et ce monsieur nous pointait du doigt. Vous avez dû faire peur... Tu sais, je ne regrette rien. Je n'avais pas envie de les bercer d'illusions. C'était risqué ! Un peu. Il est vrai que nous avons dénoncé certains comportements à l'IUFM et... Ce dans la Maison Mère ! N'y aurait-il pas eu un peu de provocation dans tout ça ? Non. Pas du tout. Nous désirions juste être franches... Ce fut réussi visiblement ! Je te le répète, je n'ai aucun remord. Enfin bon. Cela ne nous a pas empêché de remonter sur l'estrade hier et d'être un peu plus pondérées... Un petit retour en arrière ?
Pas vraiment. D'abord, en prenant le micro, j'avais l'impression d'être en représentation. J'étais souriante et détendue. Sophie et moi avons encouragé tous ces PE1 à partir, nous avons fait de l'humour. J'ai même conseillé de relativiser la PE2... Ce qui prête à sourire vu tout le foin que tu nous en avais fait ! Oui bon, c'est vrai. Mais aujourd'hui, justement, j'ai plus de recul. Et c'est ce recul qui m'a fait prendre conscience de mon évolution, en quelques mois. Je me souviens qu'hier, quand je suis entrée dans l'amphithéâtre, je me suis dit que rien n'avait changé. Les PE2 étaient déjà en train de présenter leur stage (Powerpoint à l'appui s'il vous plaît !), le directeur de l'IUFM et certains responsables des Relations Internationales étaient assis au premier rang, les PE1 écoutaient religieusement les stagiaires-enseignants, les couvant d'un regard envieux et admiratif, celui que j'avais moi aussi il y a déjà deux ans...
Bref. J'étais revenue à l'IUFM en octobre, pour la première partie de mon stage. Quinze jours inutiles. A vrai dire, c'est comme si je l'avais quitté la veille. Je n'avais ma classe que depuis trois semaines et me sentais presque plus proche des PE2 hésitants que des T1 libres que je tendais à devenir. Et puis hier... Trouvant tout face à moi l'identique, les casiers, les formateurs, et surtout LES DISCOURS, je me suis dit que j'avais changé. J'ai beau avoir toujours su que la formation en IUFM se rapproche du conditionnement, il s'avère cependant qu'on ne peut en être pleinement conscient qu'en le quittant. J'ai bien écouté les PE2 décrire leur stage hier soir. Je les ai entendus décortiquer les systèmes éducatifs au Maroc, au Mali. J'ai entendu des jugements (déguisés, bien sûr...), j'ai entendu parler de "transmissif" et de "magistral". De pédagogie presque arriérée dans certains cas. Et je souriais. Et je me revoyais l'année dernière... Avec mes belles phrases, alors que je n'avais qu'une idée très très vague, avec mes pauvres stages en responsabilité de trois semaines, de ce que c'est que d'avoir une classe tous les jours, toute l'année.
Manipulation. Interaction. Ludique. Ce sont sans doute les trois mots que j'ai le plus entendus durant ma formation, que ce soit de la bouche des IMF ou des formateurs. L'impression que cette année de PE2 m'a laissée, c'est que tu fais forcément du mauvais boulot si les élèves ne manipulent pas, ou n'interagissent pas. Bon. D'accord. Et à les écouter, là, les PE2 de cette année, je me disais que rien ne dépassait. Tous le même discours. Le même jargon. N'y a-t-il donc personne pour penser différemment que ce qu'on a cherché à nous inculquer ? Quand j'ai dit, bien fort dans le micro, et avec un grand sourire, qu'il fallait relativiser la PE2, j'ai vu des dizaines de visages complètement interloqués. A quoi t'attendais-tu, Mirabelle ? Si j'ai bien compris ton propos, le public auquel tu t'adressais était en PE1, c'est à dire des jeunes qui passent le concours ! Oui. Autrement dit, tes paroles étaient bien loin de leurs préoccupations actuelles ! C'est vrai. Il n'empêche que je suis bien contente de l'avoir dit. Parce qu'on verra bien, tiens, s'il ne trouveront pas des avantages au transmissif en T1, s'ils feront tout le temps de la manipulation... On verra combien de temps ils tiendront à ce rythme !!!
En quelques mois, depuis la première partie de mon stage, j'ai évolué. J'ai gagné en liberté et je me suis beaucoup détachée du moule IUFMesque. Plus le temps passe et plus j'apprends à penser par moi-même, parce que la réalité de l'école, la réalité de la classe, fait que, de toute façon, on ne peut pas continuer à bosser comme on l'a fait en PE2. Parce que c'est un autre monde. Parce qu'en fin de compte, l'IUFM n'a jamais parlé de la véritable école, mais d'une école virtuelle, une école où les parents d'élèves n'existent pas, où l'on peut faire trois fiches de prep' tous les soirs tout en léchant de magnifiques séances d'histoire, de sciences, de géo et d'EPS (sans oublier musique et anglais !), où l'on peut tout transformer, tout faire, tout réussir... Où les PE sont des super-héros ! Sauf que ce n'est pas comme ça que ça marche... Au fond, ce sont mes CE2-CM1 qui m'apprennent le métier. Je grandis en même temps qu'eux.