Non, il ne s'agit pas de mon voisin. Pourtant, je vous assure qu'il faut avoir les nerfs solides pour le supporter. Mais il ne me viendrait pas à l'idée de le traiter de chien. Il m'exaspère, mais ce n'est pas une raison pour que je dise n'importe quoi. Surtout quand ce n'importe quoi sent la haine.
Ah… le chien que j'ai encore croisé ce matin, voilà ce que je voulais dire. Et ce chien-là m'a amusé. Son maître avait décidé de le promener en campagne. Quand je dis campagne, je pousse, il le baladait sur des chemins aplanis et balisés en campagne. Pour être sûr de croiser du monde. Ce monsieur espérait compenser l'ennui de sortir Sophocle en faisant une démonstration. Et c'est plus marrant quand il y a des gens pour y assister. Surtout quand on est un type qui n'a plus rien à se prouver.
Le maître a ôté sa laisse à Sophocle.
Sophocle a trottiné, en pissant tous les cinquante mètres. Puis il a trottiné plus vite, en pissant moins souvent. Les promeneurs ont pensé que ce chien était en train de se faire la malle. Ils s'étonnaient que le type ne le rappelle pas. Le maître ne semblait rien voir. Bien sûr, il le faisait exprès. Il attendait que l'on ait besoin de sa démonstration.
Un promeneur a fini par l'aborder pour lui signaler que son chien prenait la tangente. Le type a souri. Il a crié. "Sophocle, ici". Son chien a continué à tailler la route. Il a encore souri à l'assistance maintenant car le promeneur qui s'était mêlé de ce qui ne le regardait pas avait obligé ses amis à l'attendre. Le maître s'est raclé la gorge. Il a crié. "Sophocle, au pied". Le chien commençait à être loin et il était parti pour aller encore plus loin. Le maître s'est époumoné. "Sophocle, s'il te plaît".
Les promeneurs ont repris leur route, en marmonnant "Si ce n'est pas malheureux…".
Dans leurs dos, ils ont encore entendu : "Sophocle, voyons, ça ne te ressemble pas de ne pas obéir".
Les promeneurs se sont retournés: "Moins fort !".
Ouf, je me demandais si, eux, ils plaignaient le type ou le chien.