Pour moi, le mouvement vers Québec est un choix délibéré. Un choix mesuré, mûrement réfléchi, pesé, contre-balancé et profondément assumé.
Pour les boutchoux, c'est une catastrophe qui leur est carrément tombée dessus alors qu'ils n'avaient rien demandé et qu'ils étaient très confortablement installés dans le seul environnement qu'ils aient jamais connu.
Ma conviction de pouvoir leur offrir ici une vie meilleure est profonde et elle se vérifie quotidiennement.
Eux cependant, ils voient surtout tout ce qu'ils ont perdu et qu'il est difficile ici de reconstruire. Particulièrement quand l'année scolaire est déjà bien sur les rails. Difficile de sauter dans un train en marche et de s'y faire une petite place.
Ils ont parfois des moments de nostalgie dont l'intensité peut varier. J'entends beaucoup des "c'est de ta faute" ou "c'est toi qui a voulu venir ici". Mais j'entends aussi des "c'est l'fun ici" et des "on est bien mieux ici". Celà dépend des jours, des événements, des énergies.
Un soir cette semaine, j'entends de l'agitation devant la porte de la chambre de Gabriel. Delphine est a l'extérieur et supplie Gabriel de la laisser entrer. Je m'approche et demande ce qui se passe et elle m'explique qu'elle a retrouvé dans une boîte, la photo de classe de Gabriel prise en septembre dernier. Elle lui a tendu, comme un cadeau qu'on offre, pensant faire plaisir, mais depuis, il s'est enfermé dans sa chambre pour pleurer et refuse d'ouvrir.
De fait, j'entends de gros sanglots derrière cette porte.
J'entre doucement, prends ma voix la plus douce et tente d'approcher mon petit loup qui s'est roulé en boule dans le noir tout au fond de son garde-robe. "Laisses-moi tranquille, je veux être tout seul!" qu'il me hurle aussitôt.
Je persiste néanmoins, je m'approche et m'asseois près de lui. Je ne le dérangerai qu'un petit moment que je lui dis. Je veux juste m'assurer qu'il va bien.
Et pour une rare fois,à force de cajoleries et de persuasion, il parle. Il dit sa peine. Mets des mots sur ses sentiments, sur son ressenti. Il me raconte toute la lourdeur de sa solitude. Il me parle de son école et des groupes qui n'ont pas de place à lui faire pendant leurs jeux à la récré. Il me dit qu'il a l'impression d'être un fantôme que personne ne peut voir ni entendre.
Ouf! Ce sont des mots très lourds dans la bouche d'un enfant aussi jeune. C'est dur à entendre. Et c'est difficile à supporter.
Voyant le gros chagrin de Gabriel, Delphine ne fait ni un, ni deux et se réfugie elle aussi dans sa chambre pour pleurer un bon coup.
Et c'est reparti pour une séance de "je veux retourner à Montréal", "je veux revoir mes amis", "je m'ennuie" et "c'est de ta faute aussi, c'est toi qui a voulu venir ici".
Chacun déverse son trop plein de chagrin. Son angoisse. Sa solitude.
Je les écoute en silence. Je comprend et respecte leur peine. Que puis-je leur offrir sinon quelques paroles d'encouragement pour leur dire qu'il faut se donner le temps. Qu'ils doivent faire appel à leurs meilleures qualités, à leur courage et à leurs forces personnelles. Je les encourage, leur donne quelques trucs. Et je réfléchis à toute vitesse pour voir comment je pourrais contribuer à les aider.
La suite de la soirée s'est déroulée avec beaucoup de douceur et de tendresse. Dans les sourires et la légèreté. L'orage était passé. Pour cette fois-ci. Je sais bien qu'il y en aura d'autre encore, et encore. Les nuages s'amoncelleront jusqu'au prochain trop plein ou il y aura un nouveau déversement.
Et malgré le moment difficile, et malgré leur chagrin, il y a une petit voix en moi qui crie doucement victoire. Parce que du fond de son garde-robe, il y a un petit Gabichou qui a dit les mots qu'il fallait pour partager sa peine et se sentir mieux, plutôt que de laisser toute cette bouillie infâme l'étouffer et nous empoisonner la vie.
Et aussi parce que dès le lendemain, il a essayé un truc qu'on avait suggéré la veille, de s'inventer un jeu ou une construction, tout seul dans sa cour de récré, et que forcément, des amis viendraient se joindre à lui pour voir ce qu'il faisait et peut-être bien y participer. Il était tout fier ce soir là de me parler de sa construction et de comment d'autres enfants étaient venus l'aider.
Je sais que d'autres orages viendront. Mais je sais aussi qu'ils s'espaceront, avec le temps. Et je sais aussi que mes boutchoux, ils ont en eux toute la force et les qualités qu'il faut pour arriver à s'adapter, à se faire leur place dans ce nouveau monde qu'ils doivent encore apprivoiser. C'est un formidable défi pour construire leur estime et leur confiance.
Et je suis persuadée qu'ils en sont capables.
La plus formidable force des enfants, c'est leur résilience.