Magazine Talents

Ut 772 

Publié le 21 mars 2011 par Addiction2010

 

Eh bien çà y est, on a lâché quelques bombes sur les chars et avions du colonel. Etrange comme les dictateurs, quand ils ne s’attribuent pas le titre de maréchal, aiment le grade de colonel. Bien sûr, il y eu le général Franco, le général Pinochet et aussi quelques sous-officiers, mais les colonels grecs et donc notre ancien ami Kadhafi.

Il n’a jamais été le mien, même si ceux qui, dans notre système de gouvernement, sont censés me représenter l’ont trop souvent embrassé à pleine bouche.

J’ai un compte personnel avec lui.

Depuis le 19 septembre 1989 exactement. Ce jour là, obéissant à ses ordres, des individus sans scrupules, croyant hélas peut-être à une cause juste, ont fait exploser un avion au dessus du Ténéré. Je n’avais ni parent, ni ami dans ce vol, et pourtant, deux décennies plus tard, ce jour reste très présent en moi. Ce soir là, j’ai appris comme tout le monde qu’un avion de la compagnie UTA était perdu quelque part au dessus de l’Afrique. J’ai vu à la télévision le porte-parole de la compagnie évoquer les hypothèses. On l’a filmé dans le hall du siège, là où je passais tous les matins.

Très vite, comme tous ceux qui avaient quelques notions de ce qu’est le transport aérien, j’ai compris qu’il ne fallait pas garder espoir, que l’avion s’était écrasé quelque part en Afrique. Ce n’est que plus tard que l’on a compris qu’il avait été victime d’un attentat. Si je me souviens de tout cela, si j’y pense encore si souvent, c’est que les circonstances, des contraintes techniques, m’ont fait participer à la cellule de crise. Bien sûr, ce n’était qu’une liste de noms. De noms inconnus. Des listes, des remarques associées à chaque nom, les appels de leur famille, les demandes parfois étranges, parfois choquantes comme celle de cette famille exigeant d’être logée à l’hôtel Crillon. Evidemment, nous eûmes notre lot de charognards tentant d’exploiter le malheur. Nous étions dans un local assez grand, dont j’ai oublié quel était l’usage en temps normal. Certains répondaient au téléphone, d’autres n’étaient là que pour assurer la logistique. Nous étions unis. Nous étions une famille.

Comment oublier ces témoignages de l’équipe qui avait été envoyée sur place, dans le désert. Nous sûmes dès les premiers jours que l’avion avait explosé. Des détails horribles furent rapportés, et même si longtemps après, je n’ai pas le cœur de les reprendre. Ils me hantent. Ils doivent hanter tous ceux qui, de près ou de loin, furent associés à l’évènement.

Alors oui, j’ai un compte personnel à régler avec le colonel. Et je n’accepte pas qu’on l’ait reçu en grande pompe en mon nom et malgré moi, il n’y a pas si longtemps.

Dois-je pour autant me réjouir que l’on ait décidé d’user de la force pour le faire plier ? Je ne crois pas. En effet, la méthode utilisée s’abat sur d’autres de ses victimes. On a trop longtemps toléré ses diatribes, on a trop longtemps préféré pactiser avec ce diable, on l’a trop longtemps laissé diffuser sa propagande nauséabonde, en particulier au sud du Sahara. Il y aurait subitement urgence à l’obliger à respecter la volonté de son peuple… Tardifs scrupules. D’ailleurs déjà quelques voix s’élèvent pour présenter le tyran en martyr. Ce mécréant n’hésite pas à en appeler à une religion qu’il méprise et des imbéciles le suivent.

On ne règle rien avec des bombes. Les occasions d’éliminer le dictateur libyen n’ont pas manqué depuis tant d’années, personne ne les a saisies au nom d’une tradition qui interdirait de faire payer à un chef d’état en exercice ses crimes. Quelle foutaise. La démocratie et les droits de l’homme pèsent bien peu quand certains intérêts sont en jeu. Quant à la mémoire des personnes qui ont été assassinées par le colonel au dessus du Ténéré, il est clair que ceux qui embrassaient le colonel hier et lui envoient quelques bombes aujourd’hui n’en ont rien à faire.

Quant à moi, je me contrefiche que le colonel paie pour ses crimes. Mais je voudrais qu’on ne laisse plus d’autres tyrans s’installer répandre la mort. Je sais que c’est un vœux pieux mais est-ce une raison pour le pas le former ?

Non, je n’oublierai pas la UT 772. Il est un endroit dans le Ténéré où l’ombre de l’avion est gravée à jamais. J’espère un jour m’y rendre.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Addiction2010 7 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine