Magazine Journal intime
Clandestin
Publié le 24 mars 2011 par AraucariaD'Eliette Abecassis, j'avais déjà été séduite par un précédent roman "Mon père". J'ai donc voulu découvrir ce nouveau texte. Dont le sujet est à la Une de l'actualité. Un roman très court, qui peut-être résumé ainsi :
Il est immigré clandestin, il voyage en train sans billet, sans papiers, espérant trouver un passeur. Mais c'est la police qui l'attend sur le quai.
Elle est haut fonctionnaire, elle mène une vie sans histoire, elle s'occupe précisément de dossiers concernant les étrangers.
Ils se sont regardés, reconnus peut-être, chacun dans son exil intérieur. Maintenant qu'elle a compris sa situation, elle est tentée de rompre avec tout, de fuir avec lui. Et lui, il sait qu'il a jusqu'au bout du quai pour la séduire...
Histoire improbable, me semble-t'il...Conte de fée des temps moderne...Le haut fonctionnaire est une femme, alors au fond de son coeur de femme, il lui reste peut-être un peu de tendresse, de compassion, d'intérêt pour l'autre...Tout n'est peut-être pas perdu pour ce haut fonctionnaire femme, parce qu'elle est femme justement. Pourtant, ayant approché quelques hauts fonctionnaires imbus de leur personne, je doute et je m'interroge. Lorsqu'on en arrive à ce stade, c'est parce qu'on n'est pas fait de la même fibre que le commun des mortels, pour lesquels on affiche d'ailleurs pas mal de mépris. On met en avant sa carrière, on ne pense plus qu'à monter les échelons pour accéder au sommet...famille, amis, amours (toutes ces futilités) ne pèsent pas bien lourd. La réussite sociale est prioritaire... et les sentiments ne doivent pas mettre un frein à la progression hiérarchique. Parce qu'elle est femme, elle a posé ses yeux sur ce clandestin? L'histoire est belle, on voudrait y croire. Je reste dubitative, mais le livre est cependant intéressant et bien écrit.
Un extrait :
"L'enfant lui a touché la main. Alors elle s'est penchée vers lui. Il s'est tourné vers elle, a joué avec ses cheveux, les a caressés, a glissé un doigt entre ses mèches. Il a mis une main sur son visage, sur la bouche et sur les yeux, comme s'il les parcourait, une petite main potelée d'enfant sage, qu'elle a fini par prendre dans la sienne, qu'elle a embrassée.
Elle a regardé l'heure qui avançait, le temps qui choisit son avenir, et décide de sa vie, dans une grande indifférence. Que faisait-il? L'attendait-il? Que faisait-elle? Etait-il encore temps pour eux? Et elle pensait à cet homme qui l'attendait, impatient. Elle aurait voulu lui signifier des choses claires au sujet de leur relation. Elle aurait dû prendre le temps d'y penser, lorsqu'elle était dans le sud.
Elle aurait souhaité que les choses fussent différentes. Elle avait peur, si elle ne réagissait pas, de s'enraciner dans une routine qu'elle n'avait pas vraiment désirée. Depuis plusieurs mois, elle avait la sensation bizarre de ne plus rien éprouver. Elle flottait sur les choses, positives ou négatives, sans qu'elles l'affectent vraiment.
Mais l'enfant lui a pris la main fermement, comme pour la retenir. Il l'a regardée, l'air implorant, et ses yeux disaient : "Ne me quitte pas." Elle regardait au loin. Elle aurait voulu comprendre où elle en était. Quel était le sens de leur histoire? Mais peut-être n'y en avait-il aucun. Pourquoi faudrait-il du sens à tout? Le luxe, les jeux, les cultes, les deuils sont autant d'exemples d'actions qui se font gratuitement, pour elles-mêmes. Parfois, la perte doit être la plus grande possible afin que la vie prenne tout son sens.
A un moment, elle avait pensé avoir gaspillé son temps pour cet inconnu. Elle ne savait pas alors qu'elle se trompait. Parfois, on croit qu'on perd son temps, et on est en train de gagner sa vie. On se plaît à fuir la vie, les questions de la vie, les problèmes, et surtout, on passe son temps à fuir le bonheur de vivre. Quels que soient les aléas de la vie, il y a le bonheur, il ne faut pas le manquer quand on sent qu'il frappe à sa porte, et cela, on le sent dès le premier regard.
..."
Clandestin - Eliette Abecassis - Le Livre de Poche n° 30385 -