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Il ne suffira pas de respecter les délais de recours ni d’apporter des preuves réunies parfois par exploit d’huissier. Tout requérant, au-delà de ces exigences, se doit de montrer au juge électoral qu’est la Cour constitutionnelle, le lien entre les faits incriminés et le verdict des urnes. C’est le sens du principe dit de sincérité du vote. Selon ce principe, le juge ne prononce l'annulation d'une élection que si les faits invoqués par les requérants ont eu une influence suffisante pour fausser le résultat du scrutin. La doctrine, soutenue par une jurisprudence constante, soutient que le juge électoral n’est pas un simple juge de la régularité ou de la légalité ; il est surtout un juge de la sincérité du scrutin.
Il peut arriver que le juge électoral sanctionne les fraudes, mais ce n’est pas systématique. Il n’annule le scrutin ou ne modifie les résultats que si les fraudes constatées ont eu pour effet de déplacer un nombre suffisant de voix pour fausser les résultats. Ainsi, des atteintes aux règles définies par le Code électoral peuvent rester impunies si elles n’ont pas eu pour conséquence de modifier les résultats. De nombreux spécialistes du droit électoral fustigent cette ligne jurisprudentielle, qui ne participe pas, selon eux, à la moralisation des comportements à l’occasion des campagnes électorales.
Au Bénin, la Cour constitutionnelle, juge électoral des législatives et de la présidentielle, a toujours pratiqué ce principe de l'influence déterminante.
Les décisions de la Cour constitutionnelle donnant lieu à des annulations de résultats de scrutin sont très rares. Sincérité du vote oblige. "La Cour constitutionnelle du Bénin apparaît comme un juge de la sincérité du scrutin, en ce sens qu’elle ne sanctionne les irrégularités relevées que lorsque celles-ci portent atteinte à la sincérité des résultats du scrutin. La gravité des irrégularités s’apprécie alors par rapport à leur impact sur ces résultats, et l’annulation n’est prononcée que lorsque les faits allégués sont établis et ont eu une influence de nature à fausser lesdits résultats", avait déclaré Feue Conceptia Denis Ouinsou, ex-présidente de la Cour constitutionnelle, lors d’un symposium international à Bamako en 2000.
Dans une décision rendue le 1er avril 1996 portant proclamation des résultats définitifs de la présidentielle du 18 mars 1996, la Haute juridiction, à la faveur d’un de ses considérants, a clairement affirmé que la "preuve n’est pas établie que les faits allégués ont porté atteinte à la sincérité du vote…Il y a lieu de rejeter la demande d’annulation du vote". Une jurisprudence restée constante lors du contentieux électoral de la présidentielle de 2001.
En 2011, la Cour a déjà annoncé les couleurs lors de la proclamation des résultats provisoires du 20 mars dernier. Même si elle reconnaît "qu’il a été observé lors des opérations électorales un retard dans l’ouverture de certains bureaux de vote, (…), le retard dans l’acheminement du matériel électoral dans certains bureaux de vote, l’insuffisance momentanée de bulletins de vote entraînant une perturbation du scrutin, la gestion difficile des nouveaux bureaux de vote créés suite à l’autorisation spéciale de vote accordée aux électeurs non détenteurs de cartes d’électeurs", elle s’est empressée de souligner que "ces difficultés et dysfonctionnements n’ont pas entaché le bon déroulement du scrutin et ne sont pas de nature à compromettre la régularité, la sincérité, la fiabilité, la crédibilité et la transparence de l’élection présidentielle du 13 mars 2011". Avec cette phrase, il est pratiquement impossible que la Cour accepte des éléments qui tendent à annuler partiellement ou non le scrutin du 13 mars. Ce serait se renier ou remettre en cause l’autorité de la chose jugée. D’ailleurs, en alignant de façon prolifique les mots "régularité, sincérité, fiabilité, crédibilité et transparence" dans la même phrase, elle semble jouer d’une petite pression psychologique pour décourager toute prétention dans ce sens.
En somme, pour voir le scrutin présidentiel annulé dans une région ou sur toute l’étendue du Bénin, il ne suffit pas d’avoir des preuves sur les irrégularités constatées, il faut aussi prouver que ces irrégularités ont eu une influence déterminante sur l’issue du scrutin.
Mais face à la Cour qui dit avoir déjà sanctionné les irrégularités portées à sa connaissance ou relevées par elle-même, l’impasse est encore totale pour les requérants. De jurisprudence constante, la Cour rejette systématiquement les preuves concoctées après le jour du scrutin. Les délégués dûment mandatés du requérant, n’ayant pas fait inscrire leurs observations au procès-verbal le jour du scrutin, les pièces ou requêtes produites après sont considérées comme "tardives". Au surplus, la Cour estime souvent qu’elle a déjà sanctionné lesdites irrégularités et que ces dernières ne peuvent être sanctionnées de nouveau. Inutile donc pour les requérants de tirer encore moyens des dysfonctionnements tels que "le retard dans l’ouverture de certains bureaux de vote, (…), le retard dans l’acheminement du matériel électoral dans certains bureaux de vote, l’insuffisance momentanée de bulletins de vote entraînant une perturbation du scrutin, la gestion difficile des nouveaux bureaux de vote… ". La Cour estime avoir statué déjà sur ces difficultés.
Enfin, pour les requérants qui vont soulever des prétentions à propos de la fiabilité de la liste électorale, la Cour, à cette étape du processus électoral, a souvent un argument qui fonctionne chez elle comme un principe de droit : "un requérant ne saurait, à la proclamation des résultats, exciper de la non fiabilité des listes électorales". Une façon de dire que la requête est tardive et que ce n’est pas à la proclamation des résultats qu’il faut poser un problème lié au contentieux de la liste électorale.
En raison de la pratique et surtout du principe de sincérité de vote, il y a très peu de chances que les recours formulés contre le scrutin du 13 mars prospèrent, notamment dans le sens de l’annulation partielle ou totale dudit scrutin. Reste à savoir comment les contestataires vont vivre ce dernier recours dans un contexte socio-politique très tendu où les velléités de remise en cause de la légitimité du président élu sont fortes.
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