Paul Klee Nouvelle harmonie (1936)
Oui je le savais.
Tout le monde le sait.
En tout cas tous quadra divorcé le sait.
Etant moi-même passé par là il y a presque huit ans (c'est l'un des seuls secteurs de ma vie dans lequel j'ai fait preuve d'une certaine précocité), je possède aux yeux de mes nouveaux condisciples, l'aura d'un grand gourou, voir d'un kangourou pour les plus hallucinés.
C'est donc avec une sagesse infinie, et une générosité mesurée, que je prêtais une oreille à ses doléances, prêt à lui faire partager bienveillamment ma maîtrise des conjugalaisons imparfaites, passées, présentes, et même futures grâce à un petit carnet d'adresse de Sibylles en mal de mâles impies.
En l'espèce, l'homme avait passé la fin de l'hiver à se morfondre, les températures avaient été relativement clémentes.
Il reprenait donc vie avec l'arrivé du printemps, et ressentait le besoin d'aller conter fleurette, pour ne pas dire butiner, une belle plante de ses connaissances, autour de laquelle il tournait, mais qui lui fichait le bourdon.
En effet, elle ne le voyait que comme un ami très cher, un tendre confident, n'hésitant pas à lui dévoiler ses névroses le nez rose d'émotion, et même des questions sur l'essence de sa vie : fallait-il opter pour une voiture diesel ou électrique ?
Entre eux aucun sujet pratique n'était tabou, et bout à bout, elle s’offusquait que l'on considère comme un super-héros un gars qui se tape une nana tous les deux jours, tandis qu'une fille qui couche avec deux mecs par an passe pour une salope...
Bref, à son grand dam, la dame le trouvait charmant, mignon à croquer, mais certainement pas à sucer.
Paradoxalement je trouvais que son amie n'avait pas tout à fait tord : une clef qui ouvre de nombreuses serrures est certainement très pratique, mais une serrure qui s'ouvre avec tout un tas de clefs est forcément merdique...
Nous avions déjà pas mal picolé, et prêts à enfoncer quelques portes ouvertes de plus.
Il était tout à fait d'accord pour trouver que les femmes ont cette capacité exaspérante à nous prêter des qualités discutables, et à ne pas nous en offrir certaines, indiscutables.
En fait, c'est comme si vous vous rendiez à un entretien d'embauche et que vous vous entendez dire que votre CV est parfait, que vous avez toutes les qualités requises pour le poste, que vous êtes le candidat idéal, celui qu'ils recherchaient depuis longtemps et qu'ils n'espéraient plus, mais que, non, vous ne serez pas embauché.
En revanche, pour vous consoler, ils vous annoncent qu'ils se serviront de votre CV comme base de comparaison pour tous les autres candidats, qu'ils embaucheront certainement quelqu'un de bien moins qualifié, probablement un peu alcoolique, et franchement abruti entre 22h et 10h. Et si au bout du compte, il est viré, ils embaucheront quelqu'un d'autre, mais toujours pas vous. Néanmoins, ils ne manqueront pas de vous appeler de temps en temps pour se plaindre des personnes qu'ils auront engagé.
L'image de Martin Page comparant le rendez-vous amoureux à un entretien d'embauche est d'autant plus vrai.
Devant son incompréhension du système, je lui confiais que si l'on connaissait les solutions pour résoudre la crise, nous n'en serions pas là, aujourd'hui, à discuter comme deux vieux cons.