La Côte d’Ivoire s’enfonce dans la guerre civile
Le 3 mars dernier, la soldatesque de Laurent Gbagbo a ouvert le feu sur des femmes qui étaient rassemblées devant la mairie du quartier d’Abobo à Abidjan. Sept femmes ont été tuées et plusieurs dizaines d’autres grièvement blessées. Cela a porté à 325 le nombre de personnes tuées que l’Opération de l’ONU en Côte d’Ivoire a pu compter depuis que Laurent Gbagbo refuse de reconnaître sa défaite à l’élection présidentielle. Lescas de violences sexuelles commis par des hommes armés sur des filles et des femmes sont très nombreux.
La découverte en décembre dernier dans les environs d’Abidjan d’un charnier de plusieurs dizaines de cadavres n’a pu être authentifiée par le Représentant du Secrétaire général de l’ONU en Côte d’Ivoire qui, rendu sur place en a été dissuadé par des hommes en uniformes accompagnés d’autres encagoulés et qui n’ont pas hésité à le menacer de leurs armes.
Les « jeunes patriotes » qui soutiennent Laurent Gbagbo quadrillent en ce moment les quartiers d’Abidjan, rackettant et assassinant, tout en pillant et saccageant les domiciles des personnalités proches de M. Ouattara.
La Côte d’Ivoire s’enfonce tragiquement et inexorablement dans la guerre civile.
L’Union africaine, quant à elle, tergiverse. Parce que deux chefs d’Etats africains, vivant très loin de la Côte d’Ivoire, refusent de reconnaître la défaite de Laurent Gbagbo, pour des raisons au mieux idéologiques. L’Occident, et singulièrement la France, ayant reconnu la victoire de Ouattara, ils présentent ce dernier comme leur marionnette, et Gbagbo comme le résistant à la recolonisation de son pays. Et ils prétendent aujourd’hui, pour contester la victoire de Ouattara que les rebelles n’auraient pas désarmé avant le scrutin. Ils font mine d’ignorer que les premiers à avoir établi la bonne tenue du scrutin dans les zones occupées par la rébellion, en dépit de quelques incidents mineurs, ont été les préfets nommés par M. Gbagbo. Ils feignent aussi d’oublier qu’à la veille du second tour, M. Gbagbo a décrété le couvre-feu sur l’ensemble du territoire et a envoyé 1500 soldats au nord, pendant que ses milices, qui n’ont jamais désarmé, ont continué de sévir au sud et à l’ouest, les seules régions où les violences pendant le scrutin ont fait plusieurs morts.
Il est évident que ni l’Afrique du sud, ni l’Angola qui soutiennent Laurent Gbagbo ne subiront aucune conséquence de l’explosion de la Côte d’Ivoire. Ils sont bien trop loin. Mais les Etats voisins de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest dont des millions de ressortissants vivent en Côte d’Ivoire seront les premiers à en souffrir. Ils sont face à leur responsabilité et doivent peser davantage sur l’Union africaine.
La Côte d’Ivoire s’enfonce inexorablement dans la guerre civile…
Quelques rares intellectuels veulent encore voir en Laurent Gbagbo un combattant de la liberté et de la vraie indépendance de son pays, voire du continent africain.
Rappelons-leur que Gbagbo n’a accédé au pouvoir en 2000 qu’après que ses deux principaux rivaux qu’étaient Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara furent arbitrairement éliminés de l’élection présidentielle, sans qu’ils n’élèvent la voix, qu’il a marché sur le corps des Ivoiriens pour accéder au palais présidentiel, que son règne a été inauguré par un charnier d’une soixantaine de corps que toutes les commissions d’enquête ont mis sur le compte des gendarmes proches de lui…
Rappelons-leur les crimes qui ont jalonné les dix ans de pouvoir de Laurent Gbagbo, les escadrons de la mort, les manifestations systématiquement matées dans le sang, l’école livrée à la violence de la FESCI, ce syndicat estudiantin devenu une milice à sa solde, les détournements massifs d’argent dans les filières du cacao et du pétrole au détriment du peuple ivoirien, la corruption et l’immoralité au profit de ses proches et qui ont gangréné toute la société ivoirienne, l’économie bradée aux multinationales…
Rappelons-leur qu’en 1949, sous la colonisation, des femmes avaient marché à Grand Bassam pour exiger la libération de leurs maris emprisonnés. Le colon n’avait pas osé ouvrir le feu sur elles. Laurent Gbagbo l’a fait le 3 mars 2011.
Rappelons-leur aussi qu’en 2000, lorsque des femmes avaient marché pour protester contre l’interdiction faite à Alassane Ouattara d’être candidat aux législatives, elles avaient été violées par des policiers. Et ce crime n’avait suscité que ce commentaire consternant de la part de son épouse Simone : « qu’avaient-elles à aller manifester ? »
Rappelons-leur enfin, à ces intellectuels, que la première liberté d’un peuple, sa véritable indépendance, c’est de pouvoir choisir librement ses dirigeants. Les Ivoiriens ont librement choisi celui qu’ils veulent à la tête de leur pays et il s’appelle Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo veut confisquer leur volonté et il est prêt à les massacrer pour y parvenir.
Aujourd’hui la Côte d’Ivoire est dans la guerre civile. Les Ivoiriens résistent comme ils le peuvent. Combien de temps tiendront-ils ? Faut-il attendre que l’on se retrouve dans un schéma à la rwandaise, que le sang coule à flot en Côte d’Ivoire avant de réagir ? Il est temps que tout soit mis en œuvre pour que Laurent Gbagbo s’en aille.
Venance Konan, écrivain, journaliste
Tiburce Koffi, écrivain, journaliste
Tanella Boni, écrivaine et philosophie
Soro Solo, producteur, journaliste
Muriel Diallo, peintre
Jean-Pierre Dozon, anthropologue
Yaya Savané, muséologue