Lecture nomade. Sur Le Banquier anarchiste de Pessoa. À Salonique pour la seule gloire de Jacques Chessex. Brume sur le front de mer. Les premières pages de Lieber Niels, de Matthias Zschokke...
Salonique, ce mardi 15 mars. – Reparti ce matin en fin de matinée, mes papiers livrés à 24 Heures, j’ai passé le vol de Genève à Athènes à lire Le Banquier anarchiste de Fernando Pessoa dont les paradoxes me font penser, je ne sais trop pourquoi, à ceux de Dürrenmatt.
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À mon arrivée à Athènes, le suppléant de l’ambassadeur de Suisse, un Monsieur Péclard avenant comme tout et qui a organisé lui-même, avec sa collaboratrice Maria Papadopoulou, cette tournée à la seule gloire de Jacques Chessex - avec deux conférences que je donnerai demain à Salonique et jeudi à l’Institut français d’Athènes -, m’a accueilli et tenu compagnie jusqu’au départ de mon avion. Après quoi, d’aéroport en avion et d’avion en aéroport, puis dans une voiture de l’Institut français jusqu’au centre de Salonique, je me suis laissé guider par ma « feuille de route »…
Ensuite, avec le jeune directeur de l’Institut français, le polyglotte et fringant Julien Chiappone-Lucchesi, nous avons rejoint, tout à côté, dans un café haut de plafond et fleurant bon la Grèce du nord, un Monsieur Georges Freris, prof de littérature comparée extrêmement ouvert et intéressant, et une de ses collègues non moins sympathique, dont je n’ai pas retenu le nom. Bref, « tout baigne » jusque-là et j’espère faire, demain, bonne figure à mon premier show…
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Ensuite, et en dépit de mes articulations grinçantes et de mes douleurs jambaires, ou plutôt afin d’exercer tout ça, j’ai marché de la place Aristote à l’autre bout de la baie, bientôt attiré par une rumeur qui me semblait celle d’une manif – et de fait je voyais, bien au-delà de la statue d’Alexandre, un cortège scandé par des rythmes de fanfareet surmonté de drapeaux et de calicots. J’ai donc pressé le pas sous l’effet de la curiosité, mais le rassemblement n’avait rien de politique ni de protestataire: juste un cortège de lycéens flanqué de joyeux fanfarons, saluant l’apparition du premier soleil de fin de matinée avant de se disperser sur les quais. Tout cela me rappelant, au vol, mon arrivée à Salonique en 1993, juste après le pénible congrès de l’orthodoxie mondiale en Chalcydique, théâtre de vrais délires nationalistes des religieux serbes applaudis par les Grecs de gauche comme de droite – et combien la jeunesse de Salonique m’avait alors paru libre et belle !
Le long des quais, d’ailleurs, m’a frappé ce matin l’image de trois jeunes gens assis face la mer, comme enveloppés de brume et plongés dans je ne sais quelle rêverie…
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Matthias Zschokke lui-même, avec sa feinte modestie ironique, m’avait recommandé de ne pas lire son livre, ayant constaté que je me consacre au même type d’observation pléthorique sur mon blog.
« Vous allez perdre votre temps en me lisant, vous faites bien mieux d’écrire que de me lire », m’a-t-il répété au fil des divers mails que nous avons échangés ces derniers temps - et puis ce livre est trop lourd pour le voyage, m’a-t-il seriné en exacerbant du même coup mon désir de lire ce pavé qu’il me disait de plus d’un kilog. Je l’ai fait rire en lui objectant que je m’étais pesé sans Lieber Niels, puis avec, et que la différence n’était que de 900 grammes et des poussières...
Or la première satisfaction que j’ai trouvé à cette lecture est d’y découvrir une espèce de carnet de bord dont maintes notes recoupent, en amont, ses récits de voyage de Circulations, à quoi s’ajoute la complicité amicale qu’il entretient avec son interlocuteur dont les messages, non publiés, se lisent comme « en creux »; et puis il y a là-dedans une foule de détails cocasses, comme cette note consacrée à ses nouvelles socquettes en laine d’opposum (dire qu’il voulait me priver de ça !), entre autres considérations sur des lieux, des lectures ou des films, des gens que je connais parfois – tel mon ancien prof d’allemand Wilfred Schiltknecht – ou sur le milieu littéraire et la Suisse qu’il juge, hum, très librement. À ce propos, il m’a dit dans un mail qu’il déteste être détesté, en véritable «toxicomane d’harmonie » et que, fort de ce qu’on lui a dit à mon propos sur le fait que pas mal de gens du milieu littéraire romand me haïssent (ah bon ?), il se proposait de me demander un cours sur l’art de se «faire impopulaire». Et de m’avouer qu’il craint de se rendre bientôt aux Journées littéraires de Soleure « parce que, dans les rues, il n’y aura que des collègues insultés par moi ».
Quant à moi, qui me fiche de plus en plus de ce que racontent mes « collègues » à mon propos, et dont je ne dis le plus souvent, d’ailleurs, que le centième du mal que je pense d’eux, je vais bel et bien prendre une leçon d’allemand quotidienne à la lecture, à petite dose, de Lieber Niels…
Matthias Zschokke. Lieber Niels. Wallstein, 761p.