Babelzoo (3ème épisode de Ma muse)

Publié le 31 mars 2011 par Ctrltab

copyright M.A.L.

Mon roman aura donc pour héroïne ma collègue, la laide Emilie, et pour cadre mes bureaux de Tripzou. Je les rebaptiserai et les nommerai Babelzoo. Parce que les néologismes sont tendances en marketing. Ils prouvent que vous êtes résolument moderne. Le passé, son héritage, ses règles et son vocabulaire, vous vous asseyez dessus. Bravo ! Vous êtes sans pitié, vous irez loin…

Que faisons-nous à Babelzoo ? Eh bien, nous sommes une agence de conseil dont le champ d’action oscille entre voyage, thérapie et assurance. Notre différence ? Nous sommes tous ici polyglottes. En temps normal, nous errons dans la vie, tels des surdoués incompris. Oui, je sais, pourquoi un excès de talents nous nuirait-il ? Nous devrions être des super-communicants, nous qui maîtrisons autant de langues que les perles d’un collier et les apprenons aussi facilement qu’on enfile un pantalon. Eh bien, non ! Démonstration.

Vous êtes assis tranquillement dans le bus. Deux mamas africaines s’assoient à vos côtés. Avec votre tête de blanc-bec, elles ne se méfient pas. Avec délice, vous vous apercevez qu’elles parlent le wolof, dialecte que vous n’avez pas pratiqué depuis des années. Alors, votre langue n’a pas le temps de faire sept fois son tour que vous vous immiscez déjà dans leur conservation. Vous donnez derechef votre avis s’il faut ou non faire l’amour différemment si l’on veut une fille ou un garçon. Tout absorbé à savourer les mouvements de glotte dans votre bouche, vous ne voyez pas les visages furieux de vos interlocutrices. « La porte s’il vous plaît ! », hurlent-elles. Le charme est rompu. Pourquoi parlent-elles soudain en français ? Elles partent déjà ? Non, elles vous foutent dehors, excédées de votre ingérence dans leurs affaires privées ! Vous n’êtes qu’un voleur d’intimité et un violeur de secrets. Vous voûtez les épaules et errez dans la ville, espérant un jour entendre une langue que vous ne comprendrez pas.

Ce malheur quotidien est le lot de tous nos consultants à Babelzoo. Notre boss Mr Božanstvo, un slovène, a su mettre à profit le potentiel de nos âmes en peine. Comment ? Grâce au télé-conseil ! D’abord, nous veillons. C’est-à-dire nous sommes capables de dénicher tous les plans voyages les plus incroyables à travers le monde, hors des chantiers et langues battus. Ensuite, nous soignons. Nous avons une ligné dédiée –la bien nommée Tobie Nathan line-  à l’écoute de tous vos maux quelles que soient votre langue et culture de référence. Enfin, nous assurons tous les problèmes interculturels apportant traduction et consultation pour tout ce qui concerne rapatriement, divorce, etc. L’agence est « fleurissante », selon les mots de Mr Božanstvo. Une seule menace : l’hégémonie rampante de l’anglais. Pour l’instant, cette uniformisation joue en notre profit, les niches langagières sont d’autant plus fortes…mais, un jour, peut-être Babelzoo connaîtra le destin inversé de sa Babel inspiratrice. Tous les hommes parleront la même langue mais alors où ira le commerce ?