31 mars 1914 | Naissance d’Octavio Paz

Publié le 31 mars 2011 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

  Le 31 mars 1914 naît à Mexico, un peu avant minuit, Octavio Ireneo Paz y Lozano. Sa mère, la très belle Josefina Lozano Delgago, est fille d’émigrés andalous. Quant à son père, Octavio Ireneo Paz Solórzano, descendant d’une ancienne famille mexicaine, il a dans le sang quelques traces d’origines indiennes.

Image, G.AdC

  Dès son plus jeune âge, Paz est sensible au double héritage qui est le sien. Formé au savoir du monde précolombien, Octavio Paz se forge tout au long de sa vie une écriture poétique sans cesse enrichie par les longs séjours qu’il effectue à l’étranger. Son séjour aux États-Unis, de 1943 à octobre 1945, est marqué par la lecture des grands poètes américains : Yeats, Pound, Cummings, Williams, Eliot. À Paris, où il séjourne de 1945 à 1951, il fréquente assidument les surréalistes. Artistes et poètes. Breton, Benjamin Péret, Picasso, Miró, Matta, Michaux, Supervielle, Queneau, Caillois, Gracq, Castoriadis, Cioran… Un premier voyage en Orient, en Inde et au Japon, en 1952, le conduit à se dégager des influences occidentales et à se laisser gagner par la philosophie et l’art orientaux. Ces différents croisements ne cessent d’alimenter sa méditation et ses interrogations sur la matière poétique. Pour autant, sa quête de « dessaisissement » ne le détourne pas des grandes tragédies imposées par l’histoire. Le massacre de Mexico du 2 octobre 1968 et la mort de plusieurs centaines d’étudiants sur la place de Tlatelolco ― place des Trois-Cultures ― entraînent sa démission du poste d’ambassadeur du Mexique.

  L’été 1970, Octavio Paz achève El mono gramático. Traduit en français par Claude Esteban, Le Singe grammairien est publié à Genève dans la collection d’Albert Skira, « Les Sentiers de la création ». L’écriture du Singe grammairien est inspirée au poète par sa longue expérience de l’Orient. Ambassadeur du Mexique en Inde, de 1962 à 1968, lecteur passionné de poésie mystique indienne et de haïkus japonais en même temps que des grands livres du bouddhisme qu’il ne cesse d’interroger, Octavio Paz entreprend en 1967 un voyage qui le conduit jusqu’au Rajasthan. Voyage qui prend une véritable dimension initiatique.

  Aux décors et aux paysages de la vie quotidienne en Inde viennent se greffer les préoccupations intellectuelles liées au structuralisme. Le titre de l’ouvrage, El mono gramático, qui joue sur la polysémie du monogramme, annonce les entrelacs qui structurent le texte : « nature et culture, imitation et création, végétation et alphabet ».

  « Le singe est le monogramme de l’homme, et le grammairien est le monogramme du poète. Il en est l’opposé, en effet, l’image inverse dans le miroir, dans la mesure où l’imitation est le contraire de l’invention, et la norme figée à l’opposé de la poiêsis. Mais il en est aussi l’autre nom, l’alter ego, car si la nature imite l’art, du moins dans la sensibilité moderne, l’artiste devient le modèle de la création, de l’accomplissement idéal : le paradigme du grammairien. Et le poète, comme le voulait le philosophe, est "le berger de l’être", gardien de l’immortel éphémère, le "jardinier d’épitaphes", écrivait Paz lui-même. » (notice de Jean-Claude Masson, in Octavio Paz, Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2008, page 1532).

LE SINGE GRAMMAIRIEN, 6

  Taches : broussailles : brouillons. Ratures. Prisonnier entre les lignes, les lianes des lettres. Étouffé par les tracés, les lacets des voyelles. Mordu, picoté par les pinces, les crocs des consonnes. Broussaille de signes : négation des signes. Gesticulation stupide, grotesque cérémonie. Pléthore s’achevant en extinction : les signes dévorent les signes. Broussaille se change en désert, brouhaha en silence : sablonnières de lettres. Alphabets putrides, écritures consumées, déchets verbaux. Cendres. Idiomes naissants, larves, fœtus, avortements. Broussaille : pullulation homicide : terres en friche. Répétition, tu t’es perdu parmi les répétitions, tu es répétition parmi les répétitions. Artiste des répétitions, grand maître des défigurations, artiste des démolitions. Les arbres répliquent aux arbres, les sables aux sables, la jungle des lettres est répétition, le désert est répétition, la pléthore est le vide, le vide est pléthore, je répète les répétitions, perdu dans la broussaille des signes, errant parmi les sables sans signes, taches contre le mur sous le soleil de Galta, taches en cet après-midi de Cambridge, broussaille et sable, taches sur mon front qui rassemble et disperse des paysages incertains. Tu es (je suis) il est une répétition parmi les répétitions. Il est tu es je suis : je suis il est tu es : tu es il est je suis. Démolition : je m’étends sur mes triturations, j’habite mes démolitions.

Octavio Paz, Le Singe grammairien (traduction de Claude Esteban), in Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 2008, page 384. Édition présentée et annotée par Jean-Claude Masson.



OCTAVIO PAZ


Source

■ Octavio Paz
sur Terres de femmes

→ Árbol adentro
→ Certitude



Retour au répertoire de mars 2011
Retour à l' index de l'éphéméride culturelle
Retour à l' index des auteurs

» Retour Incipit de Terres de femmes