Rétrospective. Après Monet au Grand Palais, Manet à Orsay.

Publié le 01 avril 2011 par Lauravanelcoytte

Manet, l’autre Monet

Valérie Collet le jeudi, 31/03/2011
  • Une grande exposition et une moisson de livres revisitent l’art du grand inventeur de la modernité en peinture, artiste scandaleux bien malgré lui.

L’impressionnisme est de retour. Après une foisonnante “Normandie impressionniste” l’été dernier et à peine terminée la rétrospective Monet au Grand Palais, quelques intéressantes redécouvertes surgissent, offrant un regard moins convenu sur un mouvement qu’on pensait pourtant bien exploré. Gustave Caillebotte et son frère Martial, super­be inconnu, fleurissent les cimaises du musée Jacquemart André  tandis que, dans quelques jours, l’Hôtel de Ville chantera “Paris au temps des impressionnistes” (lire nos articles dans "Valeurs actuelles") . Bonnard, superbe coloriste habité par la lumière, brouille les pistes à Giverny tandis que le grand Édouard, rebelle malgré lui et considéré par les impressionnistes comme un de leurs maîtres, ceint le musée d’Orsay de son grave et noir ruban.


À son presque homonyme, Claude Monet, il cède définitivement la place de chef de file du mouvement pour incarner de façon plus large la “modernité”. Difficile, le cas Manet ? Curieusement le délai habituel de vingt ans qui sépare les grandes rétrospectives est ici largement dépassé. Sa dernière grande exposition remonte à 1983, pour le centenai­re de sa mort, manifestation orga­nisée par la très regrettée Françoise Cachin, grande spécialiste du sujet, décédée il y a quelques semaines.

Cette nouvelle exposition sonne comme un hommage à l’ancienne directrice du musée d’Orsay, qui fut l’une des premières à reconsidérer la place du peintre dans l’histoire de l’art. « En lieu et place du supposé géniteur de la peinture pure, peinture sans sujet ni mémoire, peinture sans public ni prise sur l’Histoire, elle nous a confrontés à un tout autre Manet, affirme Guy Cogeval, l’actuel directeur. Non le fossoyeur de la gran­de tradition, ni le flâneur désinvolte, mais une per­sonnalité déterminée, tra­çant son chemin coûte que coûte et forçant les portes du Salon avec sa peinture à nulle autre pareille. Bref, l’un des rares artistes de sa génération à avoir su prolonger et renouveler la richesse de sens des vieux maîtres, tout en bousculant les anciens genres et en hissant la “vie moderne” à sa poésie propre. »

Un anti-Monet ? Malgré l’amitié et le respect qui lia les deux hommes, tout les oppose. Le caractère, d’abord. Ma­net était un être affable et enjoué, à la barbe blonde et fleurie. Il fréquentait beaucoup ses amis et le monde. Le maî­tre de Giverny, à l’inverse, vécut le plus souvent replié sur lui-même, avec sa famille, menant ses recherches en solitaire.

Mêmes dissemblances pour leur art, meneurs de deux révolutions diffé-rentes. D’un côté la gravité, le drame à l’espagnole, le nu provocateur, l’histoire. De l’autre la mer, la campagne et ses villages, observés jusqu’à l’obsession dans leur réalité lumineuse. Chez l’aîné, une peinture de figures aux grands aplats et aux tons sourds dominés par le noir. Chez le second, une palette chantante et un pinceau qui papillote.

Quand Monet mène ses recherches, purement picturales, jusqu’aux frontières de l’abstraction, ouvrant la voie à Pollock ou Rothko, Manet, ancré dans la tradition, se fait le chroniqueur de ses contemporains avec les préoccupations de leur temps. Manet, grand inventeur du moderne ? C’est bien ce dont veut nous convaincre le brillant commissaire de l’exposition Stéphane Guégan, à tra­vers ses écrits et ces quelque 235 œuvres parmi lesquelles on note quel­ques intéressants inédits – trois fragments des Gitanos ont notamment été réunis grâce au Louvre Abou Dhabi.

Plus qu’une rétrospective strictement linéaire et monographique, l’exposition construit son propos autour d’une dizaine de questions. Ce fils de haut fonctionnaire né en 1832, qui avait entrepris Navale avant d’adopter les pinceaux, nous y dévoile ses débuts chez Thomas Couture, grand peintre académique dont il n’oubliera jamais le réalisme. Il fréquente aussi le Louvre, où il copie les maîtres Delacroix et Velásquez.

Suit son entrée dans “la bande à Baudelaire”, vers 1860, décisive pour celui qui, selon le poète, apporta à la peinture ce que Balzac fut au roman : le portrait, fût-il cruel, de la société de son temps. La maîtresse du poète lui-même, sa « lionne », peinte en pantin désarticulé, ouvre le bal, bientôt suivie de la Musique aux Tuileries où se laissent reconnaître Charles Baudelaire, Édouard Manet, sa maîtresse Victorine Meurent, Théophile Gautier et le baron Taylor. Une simple mise en appétit pour cette scandaleuse et mystérieuse partie carrée du Déjeu­ner sur l’herbe. Que font donc ces deux messieurs en redingote, au milieu d’un parc, au côté d’une femme entièrement déshabillée ? Il n’est jusqu’à l’empereur qui ne se soit posé la question, demandant, en cette année 1863, qu’on mon­tre tous les refusés en marge du Salon officiel.

Toute sa vie, Manet eut cette curieuse obstination à vouloir exposer dans le cadre de cette institution, essuyant les échecs et les critiques les plus virulentes. Le comble sera atteint par son Olympia, cette courtisane avec sa ser­vante et son symbolique chat noir, qui défie le spectateur de son regard appuyé. Les aguicheuses et moralisantes Vierges de Cranach, au moins, avaient le prétexte de la mythologie et un physique plus que louable. Tel n’est pas le cas de cette jeune femme en mules, aux chairs réalistes et qui, de surcroît, porte le bracelet de la mère de l’artiste !

Manet, c’est le scandale. C’est aussi l’Espagne, dont il su­bit l’influence (le Torero mort), quel­ques sujets religieux et d’innombrables natures mortes. Excellent por­traitiste (la Femme au perroquet), il laisse aussi quelques franches toiles impressionnistes pour s’intéresser toujours plus à l’histoire de son temps.

Proche de Zola puis de Mallarmé, grand observateur des événements de la Commune, il se fera le témoin des dérives de la politique étrangère de Napoléon III en représentant l’exécution de Maximilien, l’empereur du Me­xique, avant que de peindre le Combat du “Kearsarge” et de l’“Alabama”, épi­sode de la guerre de Sécession, ou l’Évasion de Rochefort, sa dernière œuvre, inachevée. Le Courbet de l’impressionnisme ?   Valérie Collet

À voir
Manet, inventeur du moderne, musée d’Orsay, Paris VIIe, du 5 avril au 3 juillet. Tél. : 01.40.49.48.14.
Manet, une inquiétante étrangeté, un DVD de Hopi Lebel en collaboration avec Stéphane Guégan, RMN-Grand Palais-FTE, 52 minutes, 22 euros.

À lire
Catalogue de l’exposition sous la direction de Stéphane Guégan, Musée d’Orsay-Gallimard, 336 pages, 280 illustrations, 42 euros.
Manet, “J’ai fait ce que j’ai vu”, de Françoise Cachin, Galli­mard, coll. “Découvertes”, 176 pages, 13,20 euros.
Manet, de James Henry Rubin, Flammarion, 416 pages, 49 euros.

Photo © Musée d'Orsay

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