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Journal d’un ventre lisse

Publié le 01 avril 2011 par Nicolas Esse @nicolasesse

Journal d’un ventre lisse
Tout le monde naît. Copulation. Accouchement. Cordon ombilical qui tombe et laisse un trou noir à la base du ventre.

Je suis née sans nombril.

J’ai un ventre parfaitement lisse. Du haut en bas. Ça vous étonne, hein ? Vous avez tous les trous qu’il faut à la place qu’il faut. Vous marchez, solides, à la surface de la terre. Vos pas lourds s’impriment sur le gravier. Vos pas font du bruit sur les pavés. Vous avez le pas concret, vos deux pieds bien plantés dans la terre. Vos corps tièdes mangent des croissants et boivent du café. Vos corps tièdes se serrent contre d’autres corps tièdes pour en éprouver la tiédeur. Lorsque vos corps tièdes se refroidissent, c’est votre nombril qui pourrit en premier.

Je suis né sans nombril, c’est normal. Vos pavés, je m’en tape. Vos pieds interminables, je vous les laisse. Votre monde n’est pas le mien. Il y a cent mille autre mondes. Cent millions d’autres mondes qui apparaissent chaque jour. Des mondes en gestation. Des mondes en construction. Des mondes finis. Pour rassurer votre chair tiède, vous dites que c’est de la fiction. Vous dites que ce sont des histoires, que toute ressemblance avec des personnages ayant réellement existé relève de la plus parfaite coïncidence. Vous dites que c’est la faute à l’imagination. Vous dites que ce sont des histoires, juste des histoires à raconter avant de s’endormir, des histoires pour rire ou avoir peur, des histoires pour aller voir ailleurs. Avant de revenir ici.
Ça vous rassure. Ça vous rassure de savoir que vos cartes sont remplies de lieux bien solides, qu’on peut visiter. À aucun endroit, sur aucune carte du monde, il existe une ville noire que la pluie dilue et qui s’appelle Gotham City. Gotham City n’existe pas. Essayez pour voir. Introduisez « Gotham City » dans un système de navigation. Le système ne sait pas. Il n’a pas d’itinéraire à vous proposer. Le système ne visite que des endroits ayant réellement existé.

Et pourtant j’existe, mon ventre intact, et je bouge. J’habite un quartier de Paris. Le soir tombe. Allongée sur mon lit,  j’attends la suite.

J’attends mon prochain chapitre.



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