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L’Union Européenne Menace-t-elle l’avenir du E-Commerce

Publié le 05 avril 2011 par Hugues-André Serres

L’Union Européenne Menace-t-elle l’avenir du E-Commerce ?

Jeudi 24 mars, la nouvelle est tombée comme un couperet. Le parlement européen a adopté une directive relative aux droits des consommateurs visant à « unifier le droit de retrait et les informations de livraison pour les acheteurs en ligne ».

Retour en arrière. En janvier 2008, entre en vigueur la législation SEPA (Single Euro Paiement Area) visant à harmoniser les règles de paiement dans la zone euro. 32 pays et quasi autant de réglementations différentes qu’il faut harmoniser. 27 pour être précis. Point par point, disparité par disparité, le parlement s’attache donc à remplacer de multiples et anciennes directives par une directive unique. Concernant plus précisément le droit des consommateurs, cette directive définit donc des règles standard pour les aspects communs, tout en permettant aux États membres de maintenir ou d’adopter des règles nationales concernant certains autres aspects, offrant un niveau plus élevé de protection des consommateurs.

Ce qui pose principalement problème
Alors que la directive stipule clairement la possibilité pour un Etat d’offrir un niveau plus élevé de protection des consommateurs, le standard commun est adopté sur la base de la législation en vigueur dans les Etats membres la plus favorable à la protection du consommateur, sans tenir compte des effets pervers des impacts.

Extraits du texte adopté :

- »Vous avez le droit de vous rétracter du présent contrat dans un délai de quatorze jours, sur un support durable [ou si le bien vous est livré avant l'échéance, par le renvoi du bien], sans devoir fournir les motifs de votre décision. »
Mon commentaire : De 7 jours en France, ce délai passerait à 14 jours. C’est beaucoup, mais pourquoi pas.

- « Pour que la rétractation soit valable, vous êtes tenu de renvoyer les biens reçus dans un délai de quatorze jours, à [nos frais si le prix du bien à renvoyer est supérieur à 40 EUR], à compter de l’envoi de votre déclaration de rétractation. »

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Mon commentaire : Le client, après avoir réfléchi 13 jours, puis renvoyé sa rétractation le 14ème jour, dispose encore d’un délai de 14 jours pour renvoyer le produit reçu. C’est difficilement acceptable ! Et, qui plus est à la charge du commerçant.

Une remarque rapide quant aux effets pervers : Où se trouve la barrière du « fair use » qui protégerait les commerçants des clients indélicats commandant plusieurs exemplaires d’un produit pour effectuer leur choix et renvoyer aux frais du e-commerçant les produits non retenus ?

Un point encore plus pernicieux : comme il semble qu’il pourrait être obligatoire de livrer dans toute l’Europe, ces frais de retours seraient alors à supporter depuis tous les pays européens !

- « En cas de rétractation valable, nous sommes tenus de vous rembourser, dans un délai de quatorze jours, tous les paiements reçus de votre part. Le délai commence à courir lorsque nous recevons votre déclaration de rétractation. »
Mon commentaire : Donc le 13ème jour après la commande, je reçois la rétractation du client qui a 14 jours pour me renvoyer le produit ; j’ai de mon côté 14 jours pour le rembourser des sommes perçues. Y compris des frais de livraison (avec toujours les frais de retour également à ma charge).

Une remarque rapide quant aux effets pervers : Pour le cas où le commerçant ne voudrait pas prendre le risque de rembourser sans avoir vérifié l’état de la marchandise retournée, le législateur a prévu une mention possible « Nous pouvons conditionner le remboursement à la réception des biens en retour. » Au nom de quelle logique le commerçant devrait supporter seul les coûts inhérents à la livraison et au retour ? Dans le cas d’une réservation hôtelière (secteur exclu de l’application de cette directive) il est par exemple possible de retenir des arrhes en cas d’annulation.

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A qui cela profite-t-il ?

-Aux états membres dont la législation est déjà en accord avec cette directive. Comme l’Allemagne. En ce qui concerne par exemple les frais de retour pris en charge par le marchand.

Note : Il semblerait que le rapporteur de la Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs, lui-même Allemand, ne soit pas allé chercher bien loin le modèle d’harmonisation proposé pour cette directive.

- Aux Etats membres dont la croissance du e-commerce tarde à se développer par un déficit de confiance des consommateurs, comme l’Espagne. C’est du moins ce que l’on peut leur souhaiter et l’un des rares effets positifs de cette directive. Sous réserve que de nouveaux Espagnols aient envie de se lancer dans le e-commerce dans ces conditions.

- Aux intermédiaires logistiques/transport.  Voilà un secteur qui doit applaudir des deux mains cette directive. Le paiement des frais de retour, assumé par le commerçant, ouvre la porte à des excès qui dépassent largement le « fair use ». Pourquoi le client se priverait-il de commander deux modèles différents quand il est hésitant sur son choix, dès l’instant où il pourra renvoyer sans frais celui qui ne lui conviendra pas. Quand j’écris deux, ce peut être 3 ou 4 ou plus. Plus de marchandises à livrer, plus de marchandises à retourner pour le secteur de la logistique et des transports. CQFD.

Et aux consommateurs, me direz-vous ? A très court terme, certainement. A moyen terme, c’est moins sûr.

Une réglementation trop contraignante ralentirait brutalement la croissance du e-commerce, puis la concurrence, puis les possibilités de choix. Le consommateur aura certes plus longtemps pour se rétracter et renvoyer les objets commandés, mais le nombre de sites sur lesquels les commander, sur le marché national, frontalier ou étranger risque de se réduire significativement. C’est également ce que l’on appelle un effet pervers. Et bien entendu tout cela aura un impact sur les prix et les consommateurs raisonnables qui ont depuis toujours un comportement respectueux et citoyen seront les dindons de la farce en payant pour le comportement malsain des autres.

Et le bon sens dans tout cela ?

Il faudrait 14 jours à un client pour réfléchir au bien-fondé de sa commande, puis 14 jours pour retourner un bien commandé qui ne conviendrait pas ? A l’heure où un internaute, seul derrière son écran, peut effectuer une commande en 5 minutes et en quelques clics, il a pour exigence de recevoir son colis livré dans les 48 heures. Personne à Bruxelles n’a pris conscience de cette distorsion et n’a mis en perspective ces décalages disproportionnés entre la rapidité d’une commande et le long délai que le commerçant doit assumer ?

Comment en sortir ? Plusieurs solutions sont possibles. Evidemment.

- Définir des standards moins élevés et plus proches des réalités temporelles dans lesquelles nous vivons. Porter par exemple le délai de rétractation/retour à 14 jours. Serait-ce vraiment une régression pour les Etats membres qui ont une législation plus favorable pour le consommateur ? 14 jours quand il faut 5 minutes pour commander !

- Exclure de la directive les petites entreprises (en fixant par exemple un seuil par chiffre d’affaires) pour ce qui concerne l’obligation de prise en charge des frais de retour, laissant à leur libre appréciation de les prendre en charge ou non.

- Imposer des sanctions plus fortes pour les sites dont les conditions générales de ventes ne seraient pas clairement spécifiées ou absentes.L’harmonisation ne passe pas forcément pas la régulation contraignant les différents segments du secteur à supporter des charges identiques. Par contre, la protection du consommateur passe en premier lieu par un affichage clair, lisible et compréhensible des conditions générales de vente. Ce devrait être là le point de focalisation pour que chacun y trouve son compte. Consommateur et marchand. Think out the box, Bruxelles, la solution est là pour que l’Union Européenne ne menace pas le e-commerce tout en protégeant les consommateurs !

Nb : Lire la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux droits des consommateurs. Sources/Vu ici

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