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Février 1982, suite

Publié le 05 avril 2011 par Addiction2010

 

Que s’est-il passé dans les jours qui ont suivi la charge policière à l’université d’Abidjan ? D’abord, on a vu la police se déployer un peu partout. A vrai dire, notre « partout », c’était Cocody car nous ne savions pas s’il était raisonnable d’aller dans d’autres quartiers. Certains d’entre nous habitaient ailleurs, du Plateau à Williamsville et nous savions que rien ne nous empêchait de nous y rendre mais la présence policière, que nous regardions avec méfiance, nous dissuadait de beaucoup circuler. Du moins les premiers jours, car très vite nous avons compris que si nos étudiants semblaient toujours être retenus à Akouédo, nous n’avions, quant à nous, rien à redouter de ces forces policières car, à notre grande surprise, et aussi à notre grande honte, nous étions des notables, juste parce que nous étions blancs.

Le mouvement ne s’est pas arrêté aux étudiants et les grèves se sont multipliées. Il semble que le pouvoir n’ait pas bien mesuré l’impact de sa répression et de la présence en ville de tous ces policiers casqués et porteurs de matraque. Petit à petit, la vie s’est arrêtée et la Côte d’Ivoire s’est endormie tandis que sans doute, dans certains milieux qui nous étaient inconnus, on s’agitait. J’ai su plus tard, par un de nos camarades dont la sœur l’avait rencontré l’été suivant, que l’obscur conférencier interdit n’avait sur le moment pas compris comment tout cela avait pris une telle ampleur.

Toujours est-il que l’université fut fermée plusieurs semaines, qu’on parla, déjà, d’ « année blanche » mais que tout fini par rentrer dans l’ordre. Nous reprîmes les cours, les diplômes furent décernés. Il ne s’était rien passé. Du moins, c’est ce que les membres éminents du parti unique, et obligatoire, pouvaient penser, malgré la grève quasi générale, malgré les violences policières.

Tout de même, revenons un instant sur la façon dont s’est terminée cette histoire. Un soir, nous avons appris que le Vieux, Houphouët, allait parler à la radio et à la télévision. J’ai toujours, même si la cassette est égarée et si je ne sais pas trop si elle est toujours audible, un enregistrement de ce discours, ou plutôt d’une parti de ce long monologue de plusieurs heures. Il y est question d’un terrain à propos duquel on aurait accusé ce pauvre Mamadou Coulibaly de malversations. Tout cela est loin. Et puis, il me reste cette phrase inoubliable « tout homme sensé place son argent en Suisse » qui fut la réponse du vieux à ses détracteurs l’accusant d’envoyer l’argent du pays à l’abri. J’ai su des années plus tard qu’Houphouët-Boigny avait pris l’habitude, dès les premières années de son règne, de se rendre en Suisse sous un nom d’emprunt y déposer ses économies… Bien sûr, il ne doit rester aucune trace matérielle de cela, mais les anciens d’UTA et d’Air Afrique pourraient témoigner. De toute manière, les deux compagnies ont disparu et Houphouët est mort depuis longtemps.

Ce que ne savaient pas les potentats du PDCI, parti organisé autour de son chef pour contrôler l’état ivoirien, c’est que ce qui était né à ce moment là ressurgirait une bonne dizaine d’années plus tard, quand ils seraient contraints, sous la pression amicale du gouvernement français et de François Mitterrand, d’accepter des élections pluralistes, d’accepter que Fraternité Matin ne soit plus le seul journal. Et donc d’accepter qu’un candidat qui n’était pas issu du PDCI se présente face à Houphouët à la présidentielle. Cette élection là, je l’ai vécue aussi, de l’intérieur, de Yopougon. Même dans ce quartier que l’on dit « populaire », que les bourgeois de Cocody ignorent, personne ne croyait que le vieux pouvait être battu. Pourtant, déjà un mauvais germe était présent : depuis toujours, les africains étrangers votaient en Côte d’Ivoire et pour les plus anciens d’entre eux, Houphouët restait l’homme de l’indépendance, des grands discours comme celui de Bobo-Dioulasso car en ce temps colonial, rien ne séparait vraiment la Cote d’Ivoire de sa voisine du nord la Haute Volta. Mais c’est pour cela que les fameux étrangers étaient, aux yeux des partisans de l’autre candidats, suspects d’être les supplétifs du PDCI, parti unique et obligatoire depuis toujours. Oui, le mauvais germe était déjà bien présent. Il est assez paradoxal de constater que ce sont ceux qui étaient accusés d’en profiter qui ensuite vont le retourner à leur profit.

Mais en ce début d’année 1982, rien de tout cela n’était visible. Et personne ne pouvait imaginer que cette paisible Côte d’Ivoire connaîtrait un jour les scènes de guérilla urbaine que l’on ne peut que déplorer aujourd’hui.

Et pourtant, la plupart de ceux qui tirent les ficelles aujourd’hui étaient déjà là. Beaucoup de ceux qui meurent, en revanche, n’étaient même pas nés.

PaysBaoule1981D

Loin d'Abidjan, mais pas trop


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