Le 6 avril 1528, le peintre allemand Albrecht Dürer meurt à Nuremberg. Foudroyé par une mort subite, à l’âge de cinquante-sept ans.
D’origine hongroise et paysanne, la famille du peintre s’était installée à Nuremberg en 1455. C’est dans le sillage des ses ancêtres et dans l’atelier de son père, que Dürer fait ses apprentissages d’artisan orfèvre. Apprentissage qu’il poursuit et perfectionne, dès le mois de décembre 1486, auprès de Michael Wolgemut, qui possède l’atelier le plus réputé de Nuremberg. Pendant trois années consécutives, Dürer est initié à l’art flamand, dans la tradition de Hans Pleydenwurff, maître de Wolgemut. En novembre 1489, son apprentissage terminé, Dürer entreprend un tour de compagnon de quatre années. Ce voyage le conduit de Bâle à Strasbourg où rayonne l’œuvre du peintre Martin Schongauer, dont Dürer apprend la mort, survenue le 2 février 1491. Dürer se rend à Colmar en 1492, afin d’y étudier les œuvres du maître. Il est reçu par Georg Schongauer, frère du peintre. Dürer passe l’année 1493 à Strasbourg. Où et pour qui travaille-t-il cette année-là ? Aucun document parvenu jusqu’à nous à ce jour ne le précise. Introduit dans les milieux humanistes de Bâle, Dürer poursuit ses activités graphiques. Les dessins de cette époque et les études de xylographies révèlent les influences de Martin Schongauer d’une part et du « Maitre du Livre de Raison » d’autre part, maître anonyme, en activité à Mayence à la fin du XVe siècle. De cette époque date le premier autoportrait de Dürer, Autoportrait dit aussi Portrait de l’artiste tenant un chardon (Musée du Louvre, 1493).
Albrecht Dürer (Nuremberg, 1471-1528)
Autoportrait ou Portrait de l'artiste tenant un chardon, 1493
Huile sur parchemin collé sur toile, 56,5 cm x 44,5 cm
Paris, Musée du Louvre
Source
En 1494, quelques semaines après son mariage avec Agnès Frey, jeune fille issue d’une famille bourgeoise très en vue de Nuremberg, Dürer se rend à Venise, ville que fréquentent les riches commerçants nurembergeois. Sur le « Fondaco dei Tedeschi » se font les échanges entre Orient et Occident. Les commerçants allemands importent du Nord des matières premières, achètent les épices d’Orient et exportent les étoffes vénitiennes luxueuses. Dürer, fasciné de longue date par l’art vénitien, se lance avec passion dans la fréquentation assidue des ateliers. Il croque sur le vif, costumes et ruelles, scènes de la vie de tous les jours, étudie les œuvres des maîtres. Mantegna, Credi, Pollaiolo, Carpaccio, Bellini. Giovanni et Gentile Bellini, les artistes les plus renommés de la Sérénissime. Assimilant de nouvelles conceptions esthétiques, dont le traitement de la perspective, l’artiste travaille également sur le nu. L’anatomie et la musculature sont au centre de ses préoccupations. Ce séjour en Italie ne dure que quelques mois. Mais il est riche d’enseignements et d’expériences artistiques fondateurs. Au cours du périple du retour à Nuremberg, Dürer réalise des études de voyage. Des vues de villes, de paysages entrevus. La beauté des Alpes du Tyrol le délivrera de l’emprise du pays natal et même des attaches avec son temps. De cette période datent les aquarelles Paysage du Tyrol du Sud, vers 1495, Le Col alpin, L’Étang dans la forêt, La Vue d’Arco.
De retour à Nuremberg, Dürer poursuit son travail de paysagiste. Il retrouve les thèmes familiers ― touffes d’herbes, racines et troncs, feuillages ― que l’on trouvera plus tard, dans ses grandes toiles. Cependant, jamais Dürer ne retrouvera la liberté de facture et la modernité qui caractérisent certaines de ces aquarelles.
Albrecht Dürer, La Petite Maison à l'étang, vers 1495-1497
Aquarelle et gouache, 21,3 x 22,5 cm
London, The British Museum
Source
LA PETITE MAISON À L’ÉTANG
Curieusement, avec La Petite Maison à l’étang ― vers 1495-1497 ―, Dürer semble renouer avec la tradition de son ancien maître Wolgemut. L’aquarelle représente un paysage familier des résidences d’été des riches Nurembergeois. Le centre de la toile est occupé par l’étang. Au second plan, un îlot surmonté d’une construction entourée d’arbres. Dans les eaux calmes et presque vides de l’étang viennent pourtant se refléter la tour et les arbres de l’îlot sur lequel elle se dresse. Prolongée par son reflet, la tour au toit pentu donne au paysage sa dimension verticale. L’ensemble du paysage est plat. Les rives de l’étang, sablonneuses, sont parsemées de touffes d’herbe. Dans l’angle gauche, une barque repose, abandonnée au silence et à l’immobilité du lieu. À l’opposé, dans l’angle droit de l’aquarelle, un ciel sombre s’effiloche, strate après strate. C’est peut-être le soir. La lumière est estompée. Les couleurs, des dominantes de bleu presque noir et de vert, sont froides. Quelques touches d’ocre ponctuent les marrons, plutôt foncés. Nul doute : on se trouve bien dans un paysage du Nord. Un paysage sans rien de réellement marquant. Un paysage d’eau tranquille et de miroir. Peut-être, dans sa simplicité, s’agit-il tout juste d’une esquisse de premier jet ? Comme le peintre aimait à le faire, en laissant courir son pinceau. Sans contrainte.
C’est sans doute ce qui émeut dans cette aquarelle. La Petite Maison à l’étang est là, paysage mental, teinté de mélancolie. En contrepoint des paysages méditerranéens d’aujourd’hui.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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