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Natsumé Sôseki | Au milieu du printemps

Publié le 07 avril 2011 par Angèle Paoli
«  Poésie d’un jour

[AU MILIEU DU PRINTEMPS]

  Mon crayon, qui était sans vie, s’est mis à bouger graduellement et, profitant de ce mouvement, j’ai réussi, au bout de vingt ou trente minutes, à composer ces six vers :

  Au milieu du printemps
  Ma mélancolie se mesure à la croissance des herbes parfumées
  Les fleurs tombent silencieusement dans mon jardin vide
  La cithare nue est posée sur le sol de la pièce déserte
  L’araignée est suspendue immobile à son fil
  La fumée forme des volutes comme un paraphe
  [au-dessus de l’auvent de bambou
1

  En les relisant, je m’aperçois que chacun de ces vers pourrait être un tableau. J’en ai conclu que j’aurais dû, dès le départ, faire un tableau. Je me demande pourquoi il m’a été plus facile de composer un poème que de peindre un tableau. Arrivé à ce point, j’aurai moins de mal à exprimer le reste. Mais cette fois-ci, j’aimerais mettre en vers des sentiments ne pouvant donner lieu à un tableau. Torturé par mille hésitations, j’écris enfin :

  Assis seul en silence
  J’aperçois une lueur au fond de mon cœur
  Il se passe trop de choses chez les hommes
  Comment pourrais-je oublier ce monde intérieur ?
  J’ai par hasard obtenu une journée de sérénité
  J’ai compris cent ans d’agitation
  Où pourrai-je garder cette nostalgie lointaine ?
  Sinon dans le ciel vaste où règnent les nuages blancs


  Je relis le poème du début à la fin avec intérêt, mais je suis insatisfait, si je pense que c’est là la traduction de mon état mental à mon arrivée. Je me suis dit : pendant que j’y suis, je vais faire un autre poème. J’ai gardé mon crayon à la main et j’ai regardé inconsciemment vers la porte. Une ravissante silhouette se découpe en passant dans l’espace d’un mètre laissé visible par la porte coulissante. Tiens…

Natsumé Sôseki, Oreiller d’herbes [ 草枕 | Kusamakura, 1906], Editions Payot & Rivages, 2007, pp. 83-84. Traduit du japonais par René de Ceccatty et Ryôji Nakamura.

1. Poème écrit en chinois par Sôseki, tout comme le poème suivant.

Sôseki



■ Voir aussi ▼

→ (sur Kiwi bleu) une note critique sur Oreiller d'herbes de Natsume Sōseki
→ (sur benzinemag) une note critique sur Oreiller d’herbes
→ (sur le blog Graskissen ― Oreiller d’herbes) une version bilingue des deux premiers chapitres d’Oreiller d’herbes




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