Magazine Journal intime

"au pied d'un arbre en bois", face à la mer...

Publié le 08 avril 2011 par Didier T.

Le seul et unique véritable GhostPisseur est mort à 12h15 aujourd'hui. "On l'enterrera ce soir, j'te jure, dans un joli carton à chaussures".
C'était qu'un chat, ouais, et je tire une tronche de zombie. Humain ou félin c'est rarement joli, la mort en marche. 2oo2-2o11, aujourd'hui j'enterre ma trentaine. Trop trempé sa queue dans trop de chattes, le sida des chats.
Il a été courageux, le GP. Jusqu'à la fin. Je lui ai fait une promesse, la main dans la patte. Désormais, j'aurai beaucoup moins de verre à amener au contenair du développement durable qui sauve la planète, à ce qu'on entend. Je vous raconterai sa fin, plus tard. Il a été impérial, immémorial, presque débonnaire dans la lutte finale perdue d'avance. La classe dans dans défaite. Impressionnant. On aurait dit Alain Bashung aux victoires de la musique 2oo9 —la plume, le chapeau, et moi qui pignais comme un mome. J'espère que je me tiendrai comme lui, quand arrivera mon tour de lâcher la rampe. J'ai comme un doute... Tatouze est toute perturbée. Je sais plus où j'habite.
En attendant de pouvoir vous raconter sa fin à la John Wayne qui a buté un paquet de mexicains, je vous en mets une petite qui remonte à l'époque de sa splendeur (pas le courage de relire, espérons que c'est à peu près propre). Le seul et unique véritable GhostPisseur, 2oo2-2o11, hé... à sa naissance j'avais encore presque l'air d'un jeune. Hé.
Quand la Patronne est fâchée, elle me traite de "sale tête de con de breton borné" —tant de pléonasmes en si peu de mots, n'est-ce pas. Et quand j'étais fâché contre le GP, je le traitais de "sale tête de con de chaton borné". Bondieu, ce soir je sors la bêche. Et merde.
On se reverra en enfer, Tautère. Comme les innocents qu'on est... toi devant ton RonRon et moi devant ma mousse, comme il se doit. Rien dans les mains, rien dans les poches, c'est pas moi m'dame, j'ai rien vu, j'ai rien fait, j'étais même pas là, c'est pas moi, c'est maître Tautère, notaire.
Qu'elle crève, la planète. J'vais pisser et j'vais m'coucher, moi.
Mais avant, comme m'sieur Uu quand il a perdu sa chatte de 18 ans, j'vais m'écouter "le petit chat" de Renaud, foutu rouge mais bon chanteur, "à qui que soit que je m'agresse".
À la maison circulent trois miauleurs.
Tatouze, alias Finekouze, alias Audrey Tatou, alias ‘la Vieille’, notre doyenne —ma chouchoute affective.
Pédaluile, alias Dalo, alias ‘le Mouru’, alias Moudujnou, alias ‘le Mulot’ —le dernier arrivé. Bulldozer doté d’un petit cœur de bébé chat, Pédaluile est un ancien SGF (Sans Gamelle Fixe) qui a réussi à nous prendre à la pitié, faire valoir chez nous son “droit au logement opposable”. Il a conscience de la précarité de la vie, de l’équilibre instable. Il n’oublie jamais le vital. Il est trop touchant. Des fois, de le regarder ça me fait sacrément gamberger. Faudra que je vous en cause un jour du Mouru, gros dossier perturbateur de certitudes.
Et chronologiquement né entre Tatouze et Pédaluile, le ‘héros’ de cette Histoire Vraie: le GhostPisseur, alias Pimataï, alias Poum, alias ‘le Tautère’, alias ‘Joe la Ficelle’, alias ‘Rackham le Roux’.
# 61 — ‘ROBIN DES CHATS’ SORT SES GRIFFES
Le GhostPisseur c’est le Boss de notre trio félinidé. Un magnifique rouquin de neuf ans d’âge, un ‘gun machine’ féroce et débonnaire, une ‘fine griffe’ —Clint Eastwood dans sa jeunesse. Quand on l’a récupéré, il avait deux mois. Il était si mignon que la Patronne l’a appelé Pimousse. Ah oui, ça lui allait superbien comme nom. Petit Pimousse. Gentil, câlin, attendrissant, déjà costaud, curieux de tout, une vraie crème de chaton. Mais en grandissant, Petit Pimousse n’est pas devenu Grand Pimousse, que nenni. Il a tourné pirate, barbare, coupe-jarrets, maraudeur, une immonde vermine pour ses congénaires, une terreur avec un regard de conquistador, il se frite avec tout ce qui porte des coussinets, et il fonce dans le tas comme un rugbyman qui a les poteaux en ligne de mire. Il n’y a qu’avec Tatouze et Pédaluile qu’il se montre un peu moins toxique, et encore, c’est parce qu’on est là pour faire la police. Même avec les gens le GP a le coup de griffe ravageur, raccord avec ses yeux de furibard, “je suis un être vivant, je ne suis pas une peluche” —la main de ma belle-mère s’en souvient encore. Seuls la Patronne et moi parvenons un peu à le tenir en respect, et quand je le contrarie il me zieute d’une manière effrayante, ses yeux de serpent soutiennent mon regard, “remercie le ciel d’être plus grand que moi, pauv’type”. Des fois c’est impressionnant, s’il en avait les moyens logistiques il me dépecerait, ça se sent. Lui qui était si mignon quand il était petit... Mais voilà, c’est comme ça, la vie l’a changé, transformé en ‘gentilchat de fortune’ qui a installé son ‘île de la tortue’ sur notre canapé. Le GP, c’est mon préféré des trois question comportement. Ah il a la belle vie, ce rascal. Et il gère superbien son bizness, ça... pas le genre à laisser des créances en souffrance, des ‘affaires non-classées’.
Il y a quelques mois, un matin vers midi je me suis levé. J’ai enfilé mon pantalon et, comme tous les jours, ai descendu ma carcasse pâteuse jusqu’au percolateur pour assouvir ce qui occupe l’esprit de tout homme civilisé au sortir du paddock.
Dans la cuisine, près de l’étagère, pas trop loin des paques de Grimbergen ou de Leffe ou d’Affligem (c’est selon les promotions du moment au supermarquette), est posée la gamelle des chats —enfin, la gamelle du Ghost (oui parce que le GP a décrété que le rez-de-chaussée était sa propriété féline exclusive et il a installé son QG sur le canapé, Tatouze et Pédaluile se démerdant aux étages que le GP leur accorde bon prince, dont ils descendent avec moult ruses de sioux qui espère que la ‘tunique bleue’ teinte en rousse est en train de pioncer dans son canapé qui lui permet de voir tout ce qui se passe dans la pièce sans avoir à remuer son gros derche de condottiere repu —ce qui fait que l’on est obligé de nourrir les deux autres en altitude pour pas qu’ils finissent comme une sculpture de Giacometti, quelle corrida). Donc comme tous les matins je suis passé devant sa gamelle pour arriver au perco, mais cette fois-là... mon œil endormi a repéré un phénomène pas normal au niveau du sol. J’ai regardé... c’était tout en vrac, sa galtouze, tout renversé les croquettes, bondieu, c’est quoi ce binezzz. Et puis c’était bizarre, comme un conglomérat. Alors je me suis approché, je me suis penché. Non... oh non, c’est pas vrai. J’y croyais pas. Ça formait comme une espèce de croûte par terre, mélangée aux croquettes sur le carrelage. C’est pas possible... c’est pas ce que je crois... ce que je crains. J’ai senti. Bon sang, le gros naze, le répugnant salingue de merde. Jamais vu ça... Et après il avait tout étalé, ce grave, et il s’était bien défoulé, ça recouvrait une jolie surface. Alors je me suis retourné et j’ai regardé mon GP allongé sur le canapé. Il me mattait, immobile, avec un regard de “kessta? t’es pas heureux?”. Alors je me suis avancé vers lui, il ne bougeait pas sauf ses yeux qui me suivaient. Mais tranquille, le bestiau, rilaxe, “chuis zinnocent”. Peut-être espérait-il que j’allais accuser Pédaluile ou Tatouze, ou peut-être qu’il s’en cognait total, dans sa cervelle de ‘seigneur de guerre’ il ne voyait pas ce qui posait problème. Je te l’ai coxé par la peau du cou, soulevé sans trop de tendresse et j’ai regardé en dessous, le canapé —des petites traces de merde sur le tissu, rââââhhh. Ah ça, mon pépère, tu vas voir qu’à part dans la tête des gauchistes et des fachistes, ‘centriste’ ne veut pas dire ‘laxiste’. Le GP me fixait méchant, mais alors méchant, genre “repose-moi, ça va pas la tête, mec, va te faire soigner, s’pèce de tortionnaire”. Faut dire que c’est rarissime que je te le chope ainsi, c’est pas dans mes habitudes de brusquer les matous, mais par contre je le taquine souvent, le GP, genre que je lui tapote la tête en lui disant “ah cha ch’est mon pôpa, cha, nom d’un chat de nom d’un chat, mais pourquoi il est tout petit comme cha mon pôpa?... ah ben ch’est pas mon pôpa, ch’est une chouris géante, une chouris rouche...”. La Patronne prétend qu’il perçoit quand on se fout de sa gueule, qu’on rigole de lui... elle dit que ça le vexe. Et je crois qu’elle a raison, à sa manière il comprend la dérision, je le constate quand je lui chante ma petite chanson spécialement écrite pour lui, sur l’air de “j’aurais voulu être un artiste”.
‘T’aurais voulu être une panthère
mais tu n’est rien qu’un p’tit Tautère.
T’aurais voulu être un Roi Lion
et puis tu miaules pour ton Ron-Ron.
T’aurais voulu le monde entier
et tu roupilles dans ton panier.’, etc... la tronche qu’il tire, je ne m’en lasse pas, et pour lui c’est une manière de payer son loyer.
En tout cas, là, suspendu à un mètre du sol, il sentait bien qu’on n’était plus dans la taquinerie. Je l’ai fait survoler la pièce en le tenant bien crocheté par le blouson roux. Je l’ai posé juste à côté de son désastre fécal en le tenant toujours bien serré par la peau du cou. Je lui ai plongé le pif dans son kougloff nauséabond et ensuite je te l’ai regardé bien en face en lui disant, hypersec:
— “Tu connais Brice Hortemiaou?”
Il n’était pas fiérot, le GP... les matous comprennent très bien les intonations des voix humaines qui deviennent furieuses. Il me regardait toujours avec son air de “c’est pas moi, c’est une erreur judiciaire”. Ah, cet aplomb face à l’évidence. Yeux dans les yeux, je lui ai dit:
— “Amigo, le monde se divise en deux catégories: ceux qui savent décapsuler les boîtes de RonRon, et ceux qui savent pas. Alors toi, tu files droit.”
Je te l’ai traîné jusqu’à la porte qui mène au jardin, cet innocent, lui rappelant ses trois obligations dans la vie:
1 — Chier dehors.
2 — Pisser dehors.
3 — Foutre la paix à Tatouze et Pédaluile.
J’ai ouvert la porte du jardin et en même temps que je l’ai lâché je lui ai collé une giga claque au cul.
— “De la part de Brice Hortemiaou!”
Il a répondu par un “mrrrrouhaille” et il s’est cassé sans se presser, cet enfoiré, comme s’il avait la conscience tranquille. Ah ben ça, l’enflé avec ses grands airs de Victor Hugo à Guernesey. Même qu’il s’est retourné et qu’il m’a à nouveau zieuté d’un sacré air de défi, “pauv’connard, fachiste, tu perds rien pour attendre, à ce p’tit jeu-là t’es pas de taille, espèce de ridicule bipède sans poils...”. J’en ai regretté de ne pas avoir pensé à lui ôter l’aimant de son collier avant de le gicler à l’extérieur —l’aimant qui lui sert à déclencher l’ouverture de la chattière sarkozienne, celle qui nous évite de faire ‘open bar’ pour tous les matous du coin. Ouais, lui sucrer son aimant, ce ne serait peut-être pas une mauvaise chose qu’il passe un ou deux jours enfermé dehors, cette râclure à moustaches, et va gagner ton pain à la sueur de tes griffes, ça te fera perdre un peu de ton lard de prédateur embourgeoisé, et avec un peu de Justice tu tomberas sur un gros chat errant qui te collera une mégarouste, comme ça après tu marcheras un peu plus dans les clous et tu feras moins flipper Tatouze et Pédaluile, gros dégueulasse égocentrique. J’ai refermé la porte du jardin et observé un peu mieux le désastre par terre, beuhâârk, cette infâmie. Me faire ça au réveil, c’est immonde. Bondieu, à quel degré de bassesse ou de désespoir faut-il en arriver pour chier dans sa bouffe et tout étaler comme un Pollock? Et je lui en voulais surtout parce que... par son comportement il contraignait Robin des Chats à devenir Sheriff de Nottingham, Brice Hortemiaou —c’est pas très feune, vous vous doutez bien que je préfère tenir le beau rôle humaniste vachement coule qu’on est tous des frères.
Le seul côté positif à tout ce bordel puant c’était que la Patronne bossait, ça laissait la possibilité de se prendre un grand noir avant de se lancer dans la Grande Lessive. Alors je me suis percolaté mon jus et suis allé le boire dans mon Birou qui en comparaison de la cuisine était propre, pour une fois. Ensuite je suis redescendu sans trop d’entrain. Le GP n’avait pas osé revenir, ou possible qu’il méprisait la situation, qu’il était parti promener comme de rien, ce lion de poche.
Rien que de revoir l’état du carrelage, ça me collait la gerbe. Avant d’attaquer l’opération ‘kärcher du désert’ j’ai décidé de me prendre un deuxième café, ça ne serait pas superflu —en espérant que personne ne sonnerait à la porte dans les minutes qui suivent. Donc re-café, re-Birou, un peu de gamberge en freewheelin’, douces rêveries. Et re-descente dans le cloaque putride, damnède. Toujours pas de GP en vue, tant mieux pour ses moustaches. J’ai commencé par enlever les housses des coussins du canapé, direct à la machine à laver. Après j’ai pulvérisé un coup de désinfectant sur les coussins —les traces de merde étaient superficielles sur les housses mais quand même, après on pose notre popotin d’humain là-dessus pour écouter France Inter nous raconter l’état du monde qui va à sa perte depuis 6ooo ans minimum, à ce qu’on dit. Après avoir géré le canapé, il me restait le plus gros du chantier, le sol dans son état épouvantable, argggh, il avait eu à moitié la chiasse le GP, c’était tout collé, en partie séché. Oh le gros raoul de l’angoisse.
Je me suis préparé un troisième café que j’ai bu sur la terrasse en regardant la mer, la tignasse dans le vent, la liquette qui claque, les charentaises bien posées sur le sol —situation qui me fait toujours penser à des choses trop précises dans le genre inéluctable, sauf que là à la place je me disais juste qu’une caguante de chat caractériel ne pèse pas lourd face à cette immensité grouillante de vie, de mystères et de dangers. M’enfin... beau pas peser lourd face à l’insondable sous mes yeux j’allais quand même devoir me le respirer le bouzin du GP, la mer elle s’en tamponne les embruns de tout ça, comme il se doit depuis que la mer existe, oui, elle flottait là des milliards d’années avant moi, la mer, elle campera toujours là des milliards d’années après moi, quand toute trace du passage de l’homme aura depuis longtemps été moulue par le ressac... alors keep cool man, just take your time, do your best, be honest and thank the life for your eyes and your dick. J’ai fini mon café les yeux dans ces ondulations d’où nos plus lointains ancêtres ont jadis émergé et où dans pas longtemps une partie de mes atomes retournera carapacer les langoustines des siècles à venir. Et puis voilà, hé... quand faut y aller, faut y aller.
J’ai pris un sac poubelle, une paire de gros gants du boulot qui allaient lamentablement achever là leur vie professionnelle, et... en route ma poule. Pouah, cet agrégat de croquettes et de merde solidifiée c’était, ahhhh... En même temps que je raclais, que je ramassais, je me demandais comment il avait pu en arriver là, le GP... Jamais vu ça en plusieurs décennies d’expérience de Robin des Chats, un matou qui agit ainsi. Mais pourquoi il avait commis ça? Qu’est-ce qu’on lui a fait? Il revendique quoi? On n’est pas sympa avec lui? On le nourrit tous les jours, on le soigne quand il nous revient esquinté, on lui fout la paix... il turbine ce qu’il veut à sa guise et sans entraves, c’est pas les chattes qui manquent dans le coin, il exige quoi de plus? Vu la vie qu’il mène, aucun souci pour qu’on échange nos places s’il est d’accord, je signe illico au bas du contrat sans lire les petits caractères et jamais on me verra chier dans mes croquettes, moi. Bref, incompréhensible. Un coup de tonkin... après tout, pourquoi seuls les humains auraient la capacité de fondre un plomb? Oui, je me disais, c’était sûrement ça: une crise de dinguerie de sa part. Et j’ai alors repensé à un autre rouquin avec qui j’avais vécu dans ma vingtaine, Seanig —qui tout cinglé qu’il était restait propre, lui.
Ensuite j’ai installé un vieux drap sur les coussins du canapé, j’ai grimpé mon perco au Birou et j’ai passé une première serpillière sur le carrelage de la cuisine, juste aux endroits merdeux. Ah, joyeux. Changement d’eau, une deuxième serpillière partout. Changement d’eau, une troisième avec, en plus du produit nettoyant, des huiles essentielles. Ça m’a bouffé un bon moment à patauger alors que j’avais quand même un peu autre chose à transpirer de ma journée. J’étais pas mal dégoûté mais c’était vital pour mes oreilles que tout soit plié avant le retour de la Patronne. Quel empaffé de rouquin —ah cha ch’est pas du tout mon pôpa, cha, ch’est un beau chalopard. Et toujours pas de GP en vue —grand bien lui en a pris, ça lui a évité de se ramasser la serpillière sur la tronche.
Après je suis remonté au Birou, vaquer à mes occupations avec la machinakawa à portée, histoire de pouvoir tranquillement continuer à téter ma caféine du matin vers 14h, bricolant ceci, celà... ou rien, de la pure lézardise en regardant par la fenêtre avec J.J Cale dans l’air, “the years rolled by, and later on...”..
Deux heures plus tard je suis retourné à la cuisine chercher un morceau à manger et un coup de rouge pour aller avec. Il était revenu, le GP. Allongé sur le drap posé sur les coussins, en toute tranquillité, “j’suis chez moi, ici, et je vous tolère”. Pendant que je descendais les escaliers, il me regardait, “tu me fais pas peur, sale nazi”. Je l’ai complètement ignoré, je suis allé direct au frigo. Il a sauté du canapé et tout en s’étirant les pattes s’est avancé sur le carrelage tout propre pour s’arrêter à l’endroit où d’ordinaire est posée sa gamelle. Il s’est assis sur son gros cul et il m’a fixé, “j’ai faim, sers-moi”. Ah ben mon sagouin... Alors je me suis approché et je lui ai dit:
— “Tiens, c’est bizarre... Avant, y’avait une gamelle là. T’aurais pas une idée de ce qu’elle a bien pu devenir?”
En même temps, j’avais pris une pomme que je mangeais bien devant lui. Le GP me mattait toujours en face, genre samouraï prêt à dégainer, en se donnant de petits coups de langue sur les babines. Des yeux de démon.
— “C’est vraiment étrange, j’aurais juré que y’avait une gamelle, là. Tant pis, je dois confondre. Au fait, tu connais Brice Hortemiaou?”
Et hop, à nouveau chopé par le blouson roux, porte de la cuisine, grosse claque au cul, “mrrrrouhaille” dans le jardin.
Deux jours, ça a duré le bras de fer entre lui et moi. Deux sacrés jours de sport sans une croquette, pas une caresse, que du foutage de gueule, le décollage façon ‘supercopter’, coup de latte dans le fion, Brice Hortemiaou, “mrrrrouhaille”. Deux jours de “va chasser, feignasse!”. Deux jours qu’en contrepartie je me mangeais son regard de furieux outragé, “facho, bourreau, salopard, t’es là pour me nourrir et fermer ta gueule, connard, Pinochet, chuis zinnocent”. Heureusement qu’il ne mesure pas 5o centimètres de plus, je ne serais plus là pour vous raconter.
Je craignais qu’il rechie de dépit face à l’absence de gamelle. Il s’est abstenu. Peut-être avait-il capté qu’en cas de récidive, la baffe au cul se transformerait en vol plané jusqu’à la clôture avec confiscation de l’aimant pour la chattière, et bonne route Jack Kerouac, reprends ta liberté, à ton retour tu nous raconteras l’envers du Rêve Américain. Car si on commence à tolérer qu’un chat prenne sa gamelle pour des vatères, c’est la fin, on va devenir leurs esclaves —déjà que des fois je trouve que c’est limite, on leur accorde un peu trop de prérogatives à ces lascars qui ont tendance à se croire tout permis, un peu trop tendance à imaginer que le moindre extra devient illico un avantage social acquis.
Donc voilà, deux jours de guerilla entre moi et le GP avec des regards de western spaghetti, des bourre-pif et des ‘mrrrrouhaille’. Ensuite et pendant une bonne semaine, à chaque fois que je lui ai donné à becqueter, avant de remplir la gamelle je chopais mon client par le colbaque et je lui disais, yeux dans les yeux:
— “N’oublie jamais Brice Hortemiaou, amigo.”
Jusqu’ici, il n’a pas récidivé —peut-être ai-je trouvé un bon équilibre entre ‘prévention’ et ‘répression’, un honnête 'modus vivendi' interespèces. Du boulot de centriste, quoi.
Traitez-moi de dingo si vous voulez mais je vous jure que des fois, le GhostPisseur, dans ses yeux ont sent qu’il repense à tout ça. Il doit visualiser dans sa tête. Il se souvient. C'est très troublant à observer. En matière de ‘compréhension du monde animal’, ça incite à penser des choses assez éloignées de Descartes et Malebranche, ce mec dont le comportement du GhostPisseur démontre qu’il aurait mérité un accent aigu sur la dernière lettre de son nom.
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Et ce soir je sors la bêche.Publié par les diablotintines - Une Fille - Mika - Zal - uusulu

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