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(11) L'aveu

Publié le 14 avril 2011 par Luisagallerini
Jeudi 12 mars 1863, 10h du soir
Le jeu de l'oieAu dîner, je croisai Monsieur Archer sans sa nièce. Inquiète, je demandai de ses nouvelles. Ayant goûté de dattes et de galettes de pain, elle n’avait pas faim. Elle était restée dans sa cabine pour écrire une lettre à ses parents. Voyant mon air abattu, il me tapota l’épaule en riant. Monsieur Verdret l’avait invité le soir même avec les frères Bianchi pour jouer au jeu de l’oie. Le capitaine, en échange de quelques parties, avait accepté de leur prêter la salle de restaurant. Alors que ses yeux pétillaient de plaisir à la seule évocation des réjouissances qui s’annonçaient, je me mordais les lèvres pour ne pas laisser éclater ma joie à l’idée de retrouver Madame Gallerini. Car lorsque Monsieur Archer s’absentait, il me confiait sa nièce. D’une voix étouffée, il ajouta que je devais garder le secret car il redoutait qu’il n’y eût trop de participants. À cet instant, une lueur d’angoisse traversa son regard. Je le rassurai aussitôt : je préférais les joies de la contemplation à celles du jeu. Que ma réponse confirmât l’image que lui, et certainement d’autres passagers, avaient déjà de moi, celle d’un jeune homme terne et peu distrayant, ne m’importait guère. On penserait que mon piètre état de santé me privait de toute joie de vivre. Et la seule personne, dont précisément j’héritai à nouveau pour quelques heures et que je n’avais pas envie de décevoir, me connaissait suffisamment pour ne pas s’arrêter aux apparences. 
Nous terminions de prendre le thé quand Madame Gallerini nous rejoignit. Je remarquai immédiatement son teint pâle et ses traits tirés. Lorsque nous fûmes enfin seules, assises sur le pont, je l’interrogeai. Hésitante, elle garda le silence quelques secondes, observant les rives qui disparaissaient dans la nuit. J’attendis anxieusement, craignant, de façon parfaitement irrationnelle, qu’elle n’eût décidé de mettre de fin à notre amitié. Soudain, elle se ravisa. Sans me regarder, elle me demanda d’une voix éteinte si la maladie dont je souffrais mettait mes jours en danger. Je la rassurai aussitôt, lui certifiant que je voyageais en Égypte pour répondre aux caprices de mes parents plus que par réelle nécessité. Elle se détendit un peu, mais la tristesse voilait encore son visage. Rongée par la culpabilité, je lui fis un aveu.
La Vénus d’ArlesJe n’aurais pas dû lui dire de telles choses. Je le regrette, évidemment. Toutefois, je sais pourquoi je me laissai aller à cette confession : je ne supportais pas d’être la cause de sa tristesse. Je préférais la perdre par maladresse que lui infliger de la peine. Par faiblesse, je lui révélai donc le seul secret que je pouvais divulguer : sa fascinante ressemblance avec la belle Vénus d’Arles. Elle m’écouta sans mot dire, mais je vis ses pommettes rosir dans l’obscurité. Son unique commentaire fut une question : « La Vénus d’Arles n’est-elle pas Aphrodite, la déesse de l’Amour ? ». Le Nil souffla à cet instant les derniers rayons de soleil, dispersant leurs restes sur son lit. Dans ses grands yeux bleus, toute trace d’affliction avait disparu. 
En écrivant ces lignes, je rougis en songeant à la hardiesse de cet aveu. J’espère que Madame Gallerini ignore, ou ne se souvient pas, que seule une tunique délicatement roulée sur les hanches préserve la dignité de la Vénus d’Arles.
A suivre...

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