- Notre Opinion
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les collections de poésie se maintiennent et les recueils de poèmes touchent un public, qui demeure constant. Et d’une fidélité à toute épreuve. Tout amateur de poésie s’est constitué son florilège personnel, mais quel embarras pour qui veut découvrir un panorama de la poésie française et qui se trouve confronté à l’étendue du sujet !
C’est à cette fin que les anthologies poétiques trouvent leur raison d’être. Il en est de célèbres, comme celle de Gide, qui avouait implicitement que la langue française, au formalisme contraignant, était moins appropriée à la poésie que l’anglais, l’allemand ou l’italien, mais qui recensait toutefois les exemples qui échappent à cette règle. Non moins fameuse, l’anthologie de Thierry Maulnier, par la sévérité drastique de ses choix : un seul vers pour tout Victor Hugo ! Ou encore celle, très classique, de Georges Pompidou, ou celle, très originale, de Jean-François Revel.
A son tour, Xavier Darcos, éminent latiniste, s’est attaché à proposer une vaste anthologie historique et chronologique, de Bernard d’Aquitaine et Jaufré Rudel à Bernard Noël et Alain Duault. Autant, voire plus que la sélection des poètes et des poèmes effectuée – qui séduit ou agace le lecteur par la subjectivité obligée de la sélection–, c’est la longue préface du maître d’oeuvre qui offre un grand intérêt. Xavier Darcos, en effet, s’est efforcé d’identifier les caractéristiques de la poésie française à travers les siècles, de repérer ce qui la distingue des autres poésies européennes. Tâche difficile entre toutes tant est divers le long fleuve de la poésie française, qui a tâté de toutes les formes et a prétendu, à chaque moment de son histoire, libérer un imaginaire et un langage neufs, « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ».
À rebours de Gide, Xavier Darcos soutient que le français est d’abord une langue propice à la poésie, de même que l’allemand entretient des affinités naturelles avec la philosophie. Au-delà de sa pérenne vitalité, premier de ses traits distinctifs, la poésie française a suivi, selon lui, le principe platonicien selon lequel l’art poétique, « passionné, visionnaire et exalté, s’oppose à la rhétorique, creuse et impersonnelle ». À travers beaucoup de précautions, le maître d’oeuvre laisse percer sa propre vision, à savoir que la poésie française dans son essence serait moins « fille de sa forme », comme le voulaient Mallarmé et Valéry, que fille de l’émotion, de la connivence à la fois personnelle et universelle nouée entre le poète et son lecteur. Ce qui expliquerait, sans doute, l’aporie d’une certaine poésie contemporaine, repliée sur un hermétisme rebutant, une prétention orphique excessive, et qui se révèle incapable de faire vibrer le lecteur à l’unisson de son chant. Bruno de Cessole
Une anthologie historique de la poésie française, Puf, 584 pages, 29 €
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