Silence

Et voilà que déjà, les journaux se détournent. Les armes se sont-elles tues ? Le sang est-il sec à Yopougon où je crains tant qu’il n’ait que trop coulé ? Je ne le saurais guère en lisant les journaux français, en regardant les télévision de cette Europe qui ne tourne l’œil vers le sud qu’attirée par le bruit furieux du canon et la violence de flots rouges.

Internet nous dit que la vie reprend. Ce matin, je vois un communiqué qui annonce le retour de la diffusion des journaux pour lundi prochain. Un article annonce que le président qui a pris le pouvoir ne s’installera pas au palais avant plusieurs semaines alors qu’il souhaitait y entrer rapidement. Il risque de ne pas reconnaître ce lieu qu’il fréquenta naguère en qualité de premier ministre du Vieux… Ses sbires y ont usé d’armes dont on n’efface pas les traces en un instant.

Hier, enfin, la presse française a daigné s’intéresser à ce qui se passait au-delà de Cocody, ailleurs que dans les quartiers que les envoyés spéciaux sont de toute manière obligés de traverser pour aller photographier le lieu du combat pour le pouvoir. On dit que le bruit des rafales se fait encore entendre à Yopougon. Savent-ils de quoi ils parlent ? En France, on dirait que c’est une ville de banlieue, en oubliant qu’elle compte aussi ses quartiers résidentiels où, comme à Cocody, Riviera et Deux-Plateaux, les pillards armés par les deux clans ont dû tout dévaster, maisons mais aussi hommes et femmes. Quartiers chics, lotissements des années 80 ou bidonvilles, les sbires de l’ami des clients du Fouquet’s ont sans doute, hélas, tout dévasté.

Bientôt, la presse n’aura plus la moindre place, plus une page, plus une colonne, plus même un entrefilet. Les faits-divers reprendront leurs droits, à moins que l’on ne revienne en Libye avoir la peau de l’ancien ami du principal soutien du nouveau potentat d’Abidjan.

Pauvre et chère Côte d’Ivoire. Je ne crois pas que tu trouveras ainsi la démocratie. Les regards vont se détourner de toi et tes politiciens malhonnêtes continueront de s’absoudre les uns les autres, avec la bénédiction des nôtres à qui nous devrions, tant que nous en avons le droit, botter le cul.

Et j’ai aussi envie de botter le cul au journalistes qui, à chaque article, se croient obligés de rappeler que Ouattara est le président reconnu vainqueur de l’élection par la communauté internationale. Quelle insistance… Il est vrai qu’il est confortable de ne pas rappeler que cette élection là fut une mascarade, de faire croire que celui qui s’est finalement imposé par les armes est légitimé par les urnes. Cela est faux. Bien sûr, cela ne vaut pas dire non plus que le vaincu des armes fut le vainqueur des urnes. Non, il est clair que cette élection fut un mensonge, comme les déclarations des politiciens, en France notamment, furent sur le sujet un tissu de mensonge. En forçant l’organisation d’élections dans un pays où l’on n’avait pas désarmé les milices, où des voyous enrôlés par un des candidats et armés de kalachnikov contrôlaient une large partie du pays, on prenait le risque d’un guerre civile. Mais que vaut pour ceux qui l’on décidé la vie d’hommes et de femmes du peuple, et d’Afrique qui plus est ?

Leur champion a pris le pouvoir.  Ils peuvent dormir tranquille maintenant, reprendre les affaires comme au bon vieux temps, avant que le rouge ne les gêne, et ignorer le sang qu’ils ont fait couler.

Il faudra pourtant que la vie reprenne aussi pour les gens ordinaires, ceux dont on a tué le mari, la femme, le frère, ou l’enfant et qui n’avaient rien demandé, qui voulaient juste vivre en paix, avoir un toit, et de quoi préparer une sauce chaque jour. Evidemment, ceux là, tout le monde s’en fout, à Cocody comme à Neuilly.

Et puis merde, allez l’ASEC !

PS: j'ai vu que la régie publicitaire proposait "Aya de Yopougon".  Je n'y avais pas pensé, mais cette BD est une excellente façon, pour ceux qui ne connaissent pas la Cote d'Ivoire, de prendre connaissance des réalités, bien mieux certainement qu'au travers d'articles superficiels d'une presse trop pressée de retrouver les hôtels climatisés... Quant à ceux qui connaissent, Aya les ramènera forcément en des lieux connus!