Après un temps de silence, je lui dis dans la plus grande sagesse, que je restais, mais que j’aimerais qu’il ne soit pas aussi agressif. Il m’a promis de l’être si en retour je promettais de ne plus « mettre mon masque ».
J’ai accepté. On a coupé court à la discussion, il m’a proposé d’aller faire quelques courses et de changer de sujet. Nous sommes sortis en parlant d’autres choses, ces projets futurs et les miens. J’ai beaucoup d’admiration pour ce garçon, sa modestie et le respect qu’il a des autres dans son domaine professionnel. Il est acteur mais il n’est pas bête. Il est même très intelligent, il fait d’autres choses à côté. Il a des « affaires » sur lesquelles, il était jusque là discret. Il est ingénieur en agronomie et il a donc créé un petit projet agricole sur un pan de terre familial.
C’est bien la première fois que je bois ses paroles, je découvre son ambition et son côté terre à terre, celui qui sait que « beau cul-belle gueule » ne dure pas indéfiniment.
Il a commencé « l’acting » quand il était étudiant à Londres, pour le fun... et depuis, de petits à bons rôles dans plein de petitsfilms et des sitcoms...de quoi « to enjoy life as he said ».
Il m’a demandé si je comptais quitter la société dans laquelle je travaille, je lui dis que j’y pense pas vraiment mais qu’à côté je suis en plein lancement de deux projets, avec un partenaire... et je suis au pied du mur et je dois parler de Samuel. On est en train de préparer à manger, dans la cuisine.
« En réalité, je n’ai pas l’intention de partir mais je travaille à côté, j’ai un partenaire étranger et il voudrait ramener de nouvelles enseignes en Tunisie. »
« Pourquoi pas ? C’est une bonne idée. Et tu serais actionnaire ? »
« Associée, et on a déjà commencé, c’est en cours, en pleine paperasse et post-révolution ce n’est pas évident. »
« C’est un ami ? Un client ? »
« ... »
« C’est le mec de Paris ? » Il arrête de couper le fromage et lève la tête vers moi, son expression est entre triste et sûr...
« Ça dépend de ce que tu entends par le mec de Paris »
« Mimi... »
« Oui, mais il ne faut pas me juger là-dessus... C’est plus compliqué que ça en a l’air... »
« Je ne te jugerais pas, et ne raconte pas plus que je ne dois en savoir, je te l’accorde... mais je veux que tu me décrives la situation, telle qu’elle se présente. »
Il était tellement calme que j’avais envie de me confier. Sans réfléchir aux conséquences, je me jette à l’eau.
On s’est assis dans la cuisine, il est toute ouïe :
« En réalité, je connais Sam, ..., parce qu’il s’appelle Samuel, depuis longtemps... en fait, c’est un des vieux amis de Papa... »
Il rit, ... un rire ironique... « Vieux amis de Papa? Vieux... à quel point »
« Tu me laisses finir après tu poses tes questions ? »
« Pardon, continue... »
« Il a 43 ans et je le connais depuis que je suis toute petite. Il est juif tunisien, il venait passer l’été à Tunis avec nous. Bref, un jour, suite à notre rupture et surtout suite à la crise de Papa, je l’ai croisé à Paris. Je me sentais mal et terriblement seule, et il s’est occupé de moi. Il ne m’a pas lâchée d’une semelle. Et du coup, on a décidé de faire des affaires ensemble, il est dans le textile et le prêt à porter... ça nous arrangeait tous les deux. »
« Ca ne m’explique pas la relation entre vous. »
« Il n’y a jamais eu de relation à proprement dit entre lui et moi. Mais disons qu’à Paris, j’étais paumée, il m’a plu et je pense que ct réciproque... »
Il me coupe la parole « ...Il était paumé lui aussi... »
Je souffrais énormément d’en parler, ça me torturait mais ça me libérait de me confier enfin à quelqu’un. Etait-il la bonne personne ? ... Pas nécessairement, puisque j’aimerais bien avoir une relation stable avec cet homme... de là à lui raconté que j’étais dans un plan tout sauf stable ? Est-ce que c’est bon pour mon image ? Mais est ce que c’était le moment de penser à mon image ? ... Est-ce qu’il pourra avoir une relation avec moi, « normale » après de telles révélations ?
Il me prend la main et l’embrasse. « Ma chérie, ce qui est fait est fait, on y reviendra pas... c’est juste histoire de s’en tenir informés. Je ne te jugerais pas, j’ai fait ce scénario des dizaines de fois dans ma tête, t’imaginant avec un tel et tel autre, et c’était du poison, alors d’entendre la vérité quelle qu’elle soit... Je pense que ça ne peut être que mieux. »
J’essayais de sonder un regard diabolique, voir une lueur de perversion...pour me conforter dans l’idée que tout se ce que je dirais sera retenu contre moi, et ressorti comme une lame de couteau droit dans le cœur. Et je suis en train de penser...que tout ce que je dis est en train de m’éloigner mot par mot, de lui.
« Maintenant que tu vas tout savoir, je suis dans l’obligation de te tuer à la fin du week end ». (Rires)
« Continue ...» Il était impatient de savoir tout en gardant son calme et son sérieux. Il me déstabilisait encore plus.
« A paris, on ne s’est pas échangé plus de quelques baisers. Ce n’était ni sexuel, ni amoureux, un échange d’affection... qui s’est mal terminé parce que je l’ai pris pour acquis et qu’il m’a montré qu’avec lui, rien n’est acquis. Alors j’ai repris mes bonnes vieilles habitudes. Je suis rentrée à Tunis, et j’ai effacé cette escapade de ma mémoire, et tous les deux on s’est revus. L’affaire du SMS de Cycy BB a suivi juste après. »
« C’est tout ce qui s’est passé entre vous ? »
« Non, j’y viens, mais faisons une pause là-dessus, qui est Cycy ? »
« C’est une sale gamine qui a bossé avec moi sur un truc, et elle a essayé de se placer dans mon champ de vision. Je te jure qu’elle n’a pas eu autant d’importance dans toute sa vie, comme elle a l’air d’en avoir dans nos discussions. C’était la soirée de clôture du projet, et j’ai préféré la finir avec toi, elle a envoyé un sms pour voir si je réagissais. Je n’ai plus eu de ses nouvelles je crois depuis. On se croise de temps en temps. Tu es la seule à en avoir fais un plat.»
« Et tu ne pouvais pas me l’expliquer... ? Et la fille brune de Paris, qui déjeune avec toi à la Terrass’ ? »
« Une chose à la fois, j’ai essayé de te parler pour Cycy, mais t’as rien voulu entendre, c’était trop débile, j’ai abandonné, je me disais qu’avec le temps, tu te rendrais compte que c’était rien. Mais tu n’étais jamais là pour le voir. Pour la fille de l’aéroport, c’était une femme cure-dent... je me consolais. Une nouvelle dans le milieu, et j’avais besoin de nouveauté, ça n’a pas duré très longtemps, une histoire de Q parce que c’est tout ce qu’elle avait. Elle avait un grand manque de I, de QI. La suite ?»
« Donc tu étais avec elle la brune ? »
« Oui, je te le dis mais je ne l’aimais pas... On baisait, c’est tout. Mais elle voulait trop qu’on s’affiche ensemble... ça la branchait. On a continué un temps, puis on s’est vus que chez moi, puis plus du tout, j’ai fait le tour de la question et ça m’a ennuyé. Ça te rappelle pas quelqu’un ?» (Un énorme sourire charmeur et un regard suggestif).
La discussion bien que désagréable dans son contenu, trouvait une tournure agréable voir sympathique. On rigolait, on se taquinait...
Et puis, on a fait un break pour dîner. Une table sur une terrasse, des bougies par terre, et la lune qui se reflète sur la mer. Un silence intégral. Quatre yeux qui se fixent, des âmes qui se cherchent, des corps pudiques qui meurent d’envie de se toucher...
Nous n’avons pas échangé un mot sur le sujet, on se redécouvrait, on se racontait nos souvenirs des quelques mois passés ensemble... et puis après avoir débarrassé la table, le temps de s’installer de nouveau dans nos fauteuils face à la mer. J’ai eu froid, le temps de ramener un gilet il m’attrape par la queue de cheval près des escaliers, et me retourne face à lui, plonge son regard dans le mien... un regard qui n’était pas romantique, ni affectueux, un regard sûr et perçant... excité... il m’embrasse violemment, jusqu’à m’en donner mal aux lèvres. Je me suis sentie brusquée, effrayée... mais avec le temps, j’ai adoré.
J’ai mis mon gilet et je l’ai rejoint sur la terrasse, il m’a serrée contre lui. Mon dos contre son torse, et ma tête au creux de son épaule et nous regardions dans la même direction. La lune dansait sur la mer calme, un entendait légèrement le crissement des feuilles d’arbuste. C’était très reposant, mais il ne fallait pas oublier la raison de notre séjour :
« Et donc...la relation qui n’en n’était pas une ? »
« En réalité, je ne l’ai jamais considérée comme telle. Jusqu’à ce qu’un jour, il débarque sans me prévenir à Tunis. Et je le trouve chez mes parents. J’ai eu la frousse de ma vie pensant qu’il leur avait dis quelque chose à propos de nous. Il a joué avec mes nerfs, puis il m’a invitée à passer le week end dans un hôtel... »
« Mais il est amoureux de toi ? Tu as des sentiments pour lui ?»
« Amoureux, je ne sais pas si c’est le mot. Je crois qu’il aime l’image de lui quand il est « bien » avec moi. Il sent qu’il a de l’intérêt aux yeux d’une fille jeune. Qu’il comble ... »
« Il te comble ? » (Triste)
« Je te l’ai dis c’est compliqué, chacun de nous prend ce dont il a besoin de chez l’autre... Moi j’ai besoin d’affection et il m’en donne et lui, il a besoin d’intéresser, combler, chouchouter... Je ne sais pas pourquoi il m’a choisie moi ? ... Le goût de l’interdit ? »
« Tu n’as pas répondu à ma question, il te comble ? »
« ... Ce n’est pas le mot, il me permet de démissionner de ma personne, il prend la relève. Quand je suis avec lui, je m’oublie... c’est lui qui me prend totalement en charge... Je lui suis. »
« Tu as confiance en lui ? »
« Professionnellement, oui. »
« Mimi... »
« Non, non, faut pas que tu le voies comme ça, je prends un break avec Sam... et ensuite je décide de reprendre ma vie, je l’oublie complètement. Il est une phase... répétitive. Je ne me suis jamais posé la question sur la personne en tant que « Mec » parce que de toutes les façons ce n’est pas possible. »
« ... »
« En réalité, je n’ai jamais envisagé quoique ce soit, mais quand j’étais fatiguée, je me laissais fuguer à Paris, et j’oubliais tout. Ce n’est pas sain... je sais... mais j’ai perdu le contrôle. »
« Toi, tu pers le contrôle ? »
« Je n’en suis pas fière, mais ce n’était pas dans ma ville, pas dans ma vie...il suffisait que je prenne un avion pour couper court... »
« C’est ce qui c’est passé pour nous aussi alors ? »
« ... au début peut être, c’est comme une pause dans la « vraie vie », mais quand je t’ai aimé, j’ai décidé de t’inclure dans ma vie. Mais là, prise de panique... je n’ai pas résisté. J’ai besoin de confiance, de bases solides... je l’avoue... notre rupture...était une fuite, je ne l’ai jamais nié. »
« Tu as eu peur de quoi ? ... Je n’ai jamais compris ? ... ce sont mes ex qui t’ont tellement effrayée ? Je te croyais plus sûre de toi ?! » Son ton étant doux et conciliant, il était gentil et prêt à tout entendre.
« Tes ex ont dit que tu n’étais pas digne de confiance, que tu vivais dans un monde infâme où la tentation est dans tous les coins et recoins... et qu’il fallait se méfier du beau parleur... voire du menteur... »
Il rit...
« Et ce sont ces paroles qui t’ont fait fuir ? »
« Non, ... mais ça m’a freiné, elles semblaient toutes d’accord, et je me suis que j’avais trop de sentiments pour gérer la déception... plutôt l’anticiper. »
« Ton prochain mec tu vas lui demander son bulletin n°3, avant de sortir avec lui, lui faire un scanner et passer toutes ses ex au détecteur de mensonge? »
Même si ce n’était pas drôle, la manière dont il l’avait dit m’a fait éclater de rire... J’ai senti qu’il était un peu vexé... Il continue :
« Je t’ai déjà menti ? »
« Je ne sais pas... »
« Enfin, je veux dire tu t’es rendue compte que je t’ai menti ? Vu comment on s’est quitté et vu ce qui a suivi... enfin, je me suis dis que tu avais du être blessée, pour me traiter comme ça. Pourtant, j’arrivais pas à t’en vouloir.»
« Non, mais tu m’as fait peur, toi, ta vie, ton monde, ton job, les femmes, ... Je me suis dis que c’était plutôt difficile à gérer pour moi, et que mes sentiments ne feraient que compliquer les choses, et qu’il valait mieux couper court. Et les fois suivantes, où on s’est vus, entre la brune, le message de Cycy et tout le reste, j’avais tellement envie d’être avec toi .... Comme avant... et pourtant, tout ce qui était autour me le déconseillait fortement... J’ai mal géré, je t’ai fait du mal, je m’en excuse. »
« Et, Samuel ? Dans tout ça ? Comment ça se passe l’association ? »
« On bosse et au boulot, on s’entend bien. J’étais à Paris, on n’a fait que bosser... cette espèce d’escapade affective était sporadique... Elle s’est volatilisée, partie en fumée. Ça ne mène à rien, et il a bien compris que j’avais une vie à vivre. J’ai besoin de me stabiliser, d’avoir une vie normale d’une fille mon âge. Et que j’étais suffisamment égarée et paumée comme ça. »
« Et lui dans tout ça ? »
« Je m’en fous... maintenant c’est mon associé »
« Et s’il ne s’en contente pas ? »
« D. stp, ça ne changera rien à ma vie... »
Autant j’avais l’impression d’être libre, autant j’avais la sensation de m’enfoncer un peu plus à chaque révélation. Mais je me disais que j’avais le mérite de dire la vérité, pour ne rien avoir à me reprocher quelqu’en soit la suite.
« Ce qu’il peut ressentir t’importe peu ? Et surtout qu’il devient ton associé ? Que vous allez vous côtoyer ? »
« Non, mais tu parles comme si il m’aimait... il aime juste ce que je représente. On a trouvé un moyen de sceller notre engagement, par un contrat d’association professionnelle. Il n’y a absolument rien entre nous, il est l’ami de mon père et mon partenaire ?!»
« Bon, on arrête de parler de ça. On va marcher un peu ? »
On a fait de la marche. Côte à côte. J’aurais voulu qu’il me prenne la main. Mais j’avais la sensation de le repousser. On a marché en silence, comme dans une marche funèbre, le cadre qui était idyllique devenait franchement cauchemardesque... j’avais envie de rentrer dormir... « On rentre ?» c’est le seul mot qu’il a dit... Nous sommes rentrés. Chacun sur un canapé du salon, devant la télé... Je me demandais si la liberté d’expression était vraiment acquise, judicieuse ou si ça a été la dernière pierre à l’édifice. J’ai été confiante, sincère et j’ai voulu par mon exhaustivité, le remercier pour sa patience, sa persévérance et le sentiment (quel qu’il soit, qui l’a porté jusque là). Et il me renvoie un tel détachement et une telle froideur. Calme et sereine, pensant que le bien triomphe toujours du mal, et que la sincérité et la vérité sont toujours récompensées... Je m’endors, en le laissant « digérer ». Tomorrow is another day...
Sauf que le lendemain, dimanche, jour du départ, je me réveille et il n’est pas là. Il n’avait pas grand-chose, un simple sac, qui n’est plus là. Je ne comprends pas, il est peur être sorti acheter qq chose ? Je vais attendre, il est 10h. Si à midi il n’est pas là... Je rentre.
Je sens déjà que les larmes me montent aux yeux. A. mon ex, celui de l’accident, m’a souvent fait ça pour me punir de ma sincérité... Il s’en allait, me tournait le dos, et me laissait le supplier de revenir... et puis, enfin il daignait « me pardonner » comme il disait. Je ne revivrais pas cet enfer. Il en est hors de question... Je me suis endurcie à ce point parce que m’a bonté n’a jamais été considérée comme telle mais comme une faute, un crime, un mensonge, une faiblesse... voilà encore une révélation... Il reste un peu moins de deux heures avant midi. Je suis tétanisée d’angoisse mais capable du pire....