L’espace public oppositionnel.

Publié le 16 avril 2011 par Pigiconi

Comment penser la contestation au sein même de l’espace public ?

Ce que Habermas, en retraçant l’émergence de l’espace public , n’avait pu entrapercevoir, Negt, dans sa tentative définitionnelle de l’espace public, l’aménage.

Les deux premiers essais, qui ouvrent le recueil paru aux éditions Payot, caractérisent cet espace oppositionnel, non pas tant comme un ailleurs de la théorie politique, un horizon et une utopie, mais comme une production de l’espace public lui-même. Encore faut-il s’entendre sur cette notion, mais aussi se dégager de la perspective habermassienne, ou en tout cas, relire Habermas contre Habermas.

Ce que révèle Habermas, c’est tout le mouvement de la bourgeoisie anglaise, qui, à partir du XVIIe siècle, détentrice de la presse écrite, discute des décisions du Parlement. Par là, la critique s’institutionnalise, et le jeu politique devient celui du Pouvoir confronté à un Contre-Pouvoir. Face à cela, s’organisent, du côté du pouvoir, les conditions et modalités de publicité de la décision politique. Mais cet espace public est d’abord le « lieu » où se règlent les conflits d’intérêt de la classe dirigeante. [ cf habermas]

Or cet espace public est un espace de domination et d’aliénation. Car toutes les procédures mises en œuvre montrent qu’il y a bien une volonté d’accaparement de la décision politique et d’encadrement de la pensée. L’exigence démocratique et l’idéal de liberté sont non seulement vidés de leur contenu mais aussi et surtout, tout est fait pour maintenir et s’assurer des moyens de domination et d’oppression. C’est le propre du capitalisme bourgeois et de la dynamique de valorisation marchande à la fois des productions et des actes/forces de production.« La valorisation marchande impose ses abstractions de valeur à toute la réalité sociale, établissant un schéma qui oriente autant le degré d’attention que les tabous qui affectent la perception. L’espace public bourgeois se sert de ces filtres pour diriger la perception de la réalité dans différentes directions. » (132) Et ce que met en valeur Negt c’est tout de même bien que chaque « espace », « segment » ou topos de la vie quotidienne, qu’il soit privé ou public, est assimilé et incorporé par cette logique même de la consommation sous-tendue par celle de la valorisation. Ainsi, même les formes de contestation sont-elles « prévues » et « incorporées » dans cette dynamique monopolisatrice de l’espace public bourgeois. Au point d’en exclure toute possibilité d’émancipation, comme si l’alternative n’était qu’entre le capitalisme bourgeois et la chaos anarchique.

Pour Negt, s’il y a une alternative, elle n’est pas entre le capitalisme et son antonyme, qui serait la bureaucratie socialiste, dans sa version stalinienne et totalitaire, mais bien entre la démocratie véritable et radicale et l’absence de démocratie. En effet, la première nous laisse penser que le capitalisme est indépassable, quand la seconde nous fait comprendre que l’espace public est, en lui-même, indispensable. C’est notamment ce qu’il suggère quand il souligne combien les mouvements contestataires tout à fait autonomes ou indépendants, plutôt que d’inscrire leurs revendications dans une logique d’émancipation, ne font que rejouer les rapports concurrentiels déjà existants et courent ainsi à l’échec (139).Aussi Negt reste-t-il très sévère sur ce qui paraît n’être, en somme, que des revendications de classe, sans volonté d’étendre la revendication à d’autres catégories et, par là, à reconstituer un espace démocratique émancipé de toute forme de domination. « L’espace public prolétarien ne peut s’instaurer parmi ces groupes, parce qu’ils échouent à prendre pour références d’autres groupes que le leur, afin de mesurer, d’interpréter et de corriger leurs attentes et leurs besoins » (139) Or, il n’y a et ne peut y avoir de revendication, en autonomie et émancipation, que dans et par l’espace public. « Seul le déploiement de l’espace public est susceptible de dépasser de telles contradictions ainsi que la domination formelle de l’espace public bourgeois. Chaque groupe qui tente sa chance en dehors de l’espace public – ou qui tente de s’organiser sur la base d’une publicité étiolée, celle du groupe – sera amené à perdre ou à déformer la substance de son propre travail révolutionnaire. » (136) Il y a là quelque chose d’illusoire, tout comme est illusoire l’espace public bourgeois : l’un et l’autre s’auto-alimentent et la critique du premier à l’égard du second n’est plus qu’une consécration du second.