Van Dongen, le retour

Publié le 17 avril 2011 par Lauravanelcoytte

Mots clés : peintre, Musée d'art moderne de la Ville de Paris, PARIS, Kees Van Dongen

Par Valérie Duponchelle
01/04/2011 | Mise à jour : 15:03

En 110 tableaux choisis avec pertinence entre 1895 et 1931, voici en chair et en os un artiste inoubliable qui «couche sur la toile ou le papier ce qui lui tombe sous les yeux, sur-le-champ, sinon il n'y parvient pas». (Sébastien Soriano/Le Figaro)

Le Musée d'art moderne de Paris propose de redécouvrir ce peintre d'avant-garde, adulé puis dédaigné


Longtemps, le vent fut contraire à l'art de Kees Van Dongen (1877-1968), ce fils des faubourgs de Rotterdam, cet «indésirable venu des polders de la Hollande». À la manière d'un Barry Lyndon dont la chute est promise dès le premier succès trop clinquant, ce diable de peintre qui «fait un tableau entier d'un seul ton» et joue de la simplification décorative, séduit et désarçonne avec la même facilité. Sa franchise brutale d'anarchiste et sa sensualité de coloriste séduisent les poètes comme Apollinaire qui l'encense. «Ce peintre compose ses tableaux selon un souci absolu de pleine nouveauté, de pleine vérité», analyse-t-il, en 1908, en avant-propos du catalogue de l'exposition Braque chez le jeune marchand Daniel-Henry Kahnweiler. Un point de vue précoce qu'il est doux de vérifier, un siècle plus tard.

Après avoir dépoussiéré Dufy et l'avoir sorti des champs de course, après avoir effrontément exposé tout Chirico, jusqu'à plus soif, dans ses redites et ses interprétations narcissiques de l'histoire de l'art, Fabrice Hergott convie Kees Van Dongen en son Musée d'art moderne de la Ville de Paris. L'antihéros parfait qui donna dès 1910 un halo déjà cinématographique à ses tableaux du Moyen-Orient. Adoré pour sa fougue bizarre, signe de l'avant-garde à l'œuvre, puis dédaigné après sa carrière extensive, ses commandes et ses portraits de mondaines à répétition. Courtisé comme un prince turc pendant les Années folles, puis fui comme la peste après son calamiteux voyage en Allemagne en 1942 avec Derain et Vlaminck. Le sujet paraît rebattu, presque usé, depuis un demi-siècle par les critiques d'art qui, comme les enchères, trient le bon grain de l'ivraie et ne sauvent souvent que la période fauve. Le peintre trop aimé, mal aimé, a déjà eu son retour en grâce au musée, il y a vingt ans, sous l'œil hyperlucide de sa précédente directrice, Suzanne Pagé. À l'époque, l'Autoportrait en Neptune de 1922 semblait encore un embarrassant délire.

La chair des modèles 

Qu'ajouter à cet incongru portrait à la Dorian Gray qui fait d'un fils de brasseur un excentrique et somptueux sauvage au torse nu, à la peau orange et aux yeux céladon? L'amour de la peinture ! En 110 tableaux choisis avec pertinence entre 1895 et 1931, voici en chair et en os un artiste inoubliable qui «couche sur la toile ou le papier ce qui lui tombe sous les yeux, sur-le-champ, sinon il n'y parvient pas». Aucun risque avec cette suite de trésors comme L'Idole, 1908, nu mythique à la chair palpitante et vénéneuse comme une femme baudelairienne, d'audaces picturales comme ces Marchandes d'herbes et d'amour, 1913, femmes d'Égypte qui scrutent le spectateur comme les statues du Yémen aux grands yeux sculptés dans l'albâtre. «Van Dongen a peint jusqu'en 1968, mais il n'était pas juste de tout montrer, ce qui a suivi ses attaques cérébrales des années 1950 ou ce qui n'est pas à la hauteur dans l'atelier», prévient Sophie Krebs, co-commissaire avec l'historienne néerlandaise Anita Hopmans. Elles sont toutes au plaisir de poser un regard frais sur un vieux débat.

Ajoutant une trentaine de toiles à l'exposition inaugurale de Rotterdam, ce nouveau chapitre parisien joue avec liberté et instinct de l'art sur un artiste décidément rétif aux conclusions, qui bouda toute méthode et n'en fit qu'à sa tête. La promenade au musée s'en ressent qui intrigue, instruit, amuse et ravit par ses associations en inventions et couleurs pures. Ainsi, sur la même courbe blanche, l'œil redécouvre les femmes d'Égypte aux gestes de déesses aux côtés des mondaines devenues hiératiques peaux rouges dans Amusement (1914), et Intérieur/Mlle Miroir, Mlle Collier et Mlle Sopha (1914). Outre le bonheur de voir la peinture exulter comme la chair des modèles (Portrait d'Adèle Besson, 1909), il y a une vraie jouissance devant tant de fantaisie qui résiste au temps. En 1911, Van Dongen peint un Nu couché sur fond orangé et rouge, où le corps blanc et renversé ressemble à un gros coquillage. Il évoque le nu au parquet de Big Sue, peint par Lucian Freud, autre inclassable.

Le Doigt sur la joue -Le portrait de la belle Andalouse résisteau cubisme


(Sébastien Soriano/Le Figaro)

Lorsque, en 1911, les cubistes de Montparnasse prennent la direction du comité d'accrochage du Salon des indépendants, ils exposent dans la salle 41 leurs travaux révolutionnaires. Pour reléguer le fauvisme dans les oubliettes du passé, cinq Van Dongen y sont accrochés. Dont Le Doigt sur la joue, portrait peint en Espagne en 1910. Le contraste ne joue pas dans le sens attendu, explique Anita Hopmans, l'historienne du Museum Boijmans Van Beuningen de Rotterdam. Depuis 1949 y brille la belle Espagnole au châle bovarien, aux grands yeux de braise et à l'éventail sagement plié, séduction au repos. L'audace du coloriste, sa sensualité pleine et lumineuse, son invention et sa maîtrise désarmèrent la critique. «Fauve qui peut ! » écrit alors l'écrivain André Salmon.

«Van Dongen, fauve, anarchiste et mondain», jusqu'au 17 juillet au Musée d'art moderne de la Ville de Paris (XVIe). Catalogue aux Éditions Paris Musées (38 €).

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