Le dîner est servi à partir de 19h30.
À 20h30, en pénétrant dans le hall de l’hôtel, il n’y a pas de comptoir de réception. Pas tout de suite en tout cas. Il y a une famille nombreuse qui dîne avec la matrone qui trône en bout de table. Et derrière le comptoir, situé dans une pièce derrière la famille nombreuse, il n’y a personne. La matrone se redresse et traîne ces chaussons.
C’est pour quoi?
Son ton de voix et son visage invitent à ne pas répondre. Et à partir. Vite et loin. Sans se retourner. Jusqu’à la mer, là-bas loin. Puis se jeter dedans. Et mourir. Miss Pamplemousse, burnée comme un cheval en rut, ose.
Pour dîner.
Le vieux mètre cube tout mou monté sur charentaises se décrispe et va chercher sa fille. C’est elle qui tient la maison. C’est elle qui se charge de l’accueil. Qui emmène les gens, à leur arrivée, sur le parking gravillonné de l’hôtel.
La moto, mieux vaut la mettre au fond, planquée derrière le mur. Y s’passe jamais rien ici. Mais on sait jamais…
La moto, elle dort déjà. Elle a trimballé deux culs tassés limés toute la journée. Ce matin, elle a gazouillé le long de l’Indre avant de se dandiner devant le château de Chenonceaux. Là, elle a fait la fine gueule et est allée se planter au bord de l’eau, à deux pas du château, piquer un roupillon. Elle a filé tranquille le long de la Loire, boudé Blois, continué sur sa lancée, s’est laissée perdre autour du château de Chambord, s’est cassée les dents sur deux trois chaumières qui affichaient complet ou des tarifs de ministre avant d’atterrir ici, à L’Orée de Chambord, situé à 3km du château (c’est écrit sur la pancarte), sur son parking gravillonné. Qui sépare la vieille bâtisse principale de l’hôtel, dédiée à l’accueil des voyageurs et à la restauration, du bâtiment des chambres, machin moderne et sans saveur, située dans l’arrière cour. Parking qu’il faut traverser pour pénétrer dans le hall et espérer aller dîner.
Un peu de musique. Pour l’ambiance.
Il y a des tables pour parer à toutes les configurations. Des tables carrées pour deux; une table rectangulaire pour quatre; une longue tablée pour dix personnes; des tables rondes pour quatre ou six personnes. Autour de celle pour quatre, il y a une petite famille installée. Pépé, mémé, leur gentille fille et la petite-fille. Ça parle de cochon qui n’est pas du porc. Ou peut-être que si.
Sur les murs, alternance de gravures des châteaux alentour et de photos du début du XXe siècle sur les événements marquants du coin.
Maslives et son tramway électrique.
Maslives, le bled à l’orée de Chambord.
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p>Il y a des chemins de table bordeaux sur les nappes blanches. Des petites bougies décoratives. Intactes. On ne les allume qu’en pleine saison. Deux branches de lilas cueillies le matin même dépérissent gentiment en fin de journée sur chaque table.
Non mais là, c’est trop fort.
Il y a quatre radiateurs dans la pièce. Sur chacun d’entre eux a été déposée une fleur en plastique colorée, à l’abri dans un tube en plastique transparent.
Non, là, c’est trop bas.
Autour des tables, des chaises XXL, aux assises larges, capitonnées avec un tissu à motif scène de chasse. Autour des tables rondes uniquement, les chaises ont le droit à des accoudoirs.
C’est mieux. Mais c’est pas encore çà.
Sur le pourtour de la cheminée trônent des casseroles en cuivre et leurs couvercles, et des cors de chasse patinés par les années. Peut-être les siècles. Sur la conduite, un canard empaillé, immortalisé en plein vol. Belle bête.
On n’entend plus rien. Laisse tomber.
Ce qui ne s’entend plus, c’est la musique. À chaque sortie de la salle à manger, la fille qui tient la maison fait un commentaire à un DJ bien planqué chargé de l’ambiance sonore. Lancée au début du repas. Et le générique de l’Eurovision, en ouverture, c’est une sacrée intro. Entre ce choix audacieux et le menu à gueule d’illusion d’optique grâce à sa typo tarabiscotée, une vraie réception de l’ambassadeur. Ne manquent que les Ferrero.
Dans l’assiette, malgré tout le carnaval, c’est simple et bon.
Cool.
Ça va poirpommer sec, ce soir. Je le sens.
Poirpommer: verbe. À définir.