Au fond de la pièce, une enfilade de chaises. Paul, en costume cravate, entre. Grands pas décidé. Il se plante au milieu du plateau. Il écoute quelqu’un que nous ne voyons ni entendons. Suite à quoi, il se dirige vers le fond, prend une chaise, la pose au centre de l’espace et s’y assied. De nouveau, il écoute la personne que nous ne voyons ni entendons. Il en sera de même tout au long de la scène.
- Bonjour ! Je m’appelle Paul Brenner.
(Silence)
- Quels sont les trois vices qui me caractérisent ? (Il rit gêné) Eh bien, je dirais que ce sont l’envers de mes trois principales qualités. Tout d’abord, je suis curieux. J’aime aller où je ne suis pas censé aller, prendre les chemins de traverse et découvrir comment les autres vivent. Leurs lubies. Leurs fantasmes. Pourquoi les sex-shops existent-ils ? Que se passent-ils derrière les portes ? Qu’est-ce qu’on ne dit pas ? Qu’est-ce qu’on fait en douce, en cachette, à la dérobée ? Ensuite, j’aime les femmes. Je sais, vous allez me dire que ce n’est ni un défaut ni une qualité et pourtant si. Qu’est-ce qui se passe sous les jupes des filles ? Qu’est-ce qui rend les femmes belles ? Un mouvement ? Un halo ? Une ombre ? Un effet de lumière, de cambrure, de mise en scène ? La beauté m’interroge et me fascine. Je cherche à la saisir, sans la comprendre. Je suis maniaque, fétichiste si vous voulez, obsédé. Et tout recommence, encore et encore. Enfin, vous l’aurez peut-être remarqué, je ne suis pas modeste. Ce qui me cause tort parfois. Je ne contrôle pas ni mes excès ni mes insuffisances. Je ne mesure pas et m’emporte trop facilement…
(Silence)
- Concrètement ? Vous voulez un exemple ? Eh bien, je peux vous parler de mon déboire le week-end dernier. J’avais rendez-vous avec une fille. La fille ? Magnifique ! Une madone, une démarche souple et déliée, un port de reine, un regard arrogant. C’est une boxeuse, elle a ce côté félin et alerte que n’ont pas les danseuses. Et par mon impatience, j’ai tout foiré… tout perdu.
(Silence)
- Oui, j’avoue, je suis un mauvais perdant. Est-ce un défaut supplémentaire ? Je ne sais pas, tout est si lié.
(Silence)
- Est-ce que je crois ? Qu’est-ce que ça peut bien faire ici ? Et puis croire en quoi ? Et vous, je vous ai posé la question ?
(Silence plus long que les autres, l’interlocuteur invisible semble lui expliquer quelque chose)
- Dans ce cas, oui, je suis croyant. Si j’ai un but précis et déterminé, j’y suis fidèle et obéissant. Je suis travailleur, vous savez, et obstiné. Sinon, je ne me prêterai pas à votre jeu et ne répondrai pas à toutes vos questions ridicules.
(Un rire)
- Vous voyez, au moins, je ne mens pas. Je vous avais prévenu que j’étais arrogant.
(Silence)
- Ah, enfin, une vraie question. Parce que j’aime la chute de reins que vous redessinez, j’aime cette manière effrontée dont vous révélez le coup de pied des femmes, j’aime les garrots que vous enlacez autour de leur cheville pour souligner leur fragilité. Précipiter leur chute ? Non, au contraire, les sublimer. C’est simple, ne femme en tchador chaussée de vos escarpins resterait la plus sexy de toutes. Vous êtes un maître pour moi, un magicien. Quoi de plus normal que je souhaite être votre apprenti ?