L'actualité, qu'elle soit nationale ou internationale, n'est pas très souriante, dans le fond, par les temps qui courent.
Question de climat (social, s'entend) ? Parce que, pour ce qui est du climat, des saisons, la météo ne tarit pas de superlatifs. On est, question chaleur, comme en plein été. La télé nous donne à voir goulûment des images de plages déjà emplies de baigneurs et baigneuses à faire rêver. Sauf que, côté sécheresse, il y a à redire, et on se garde bien de dire, tout court, de quoi il retourne quant aux nappes phréatiques, qui s'assèchent dramatiquement faute d'être renouvelées, entre autres par l'eau de la fonte des neiges... "Mais où sont les neiges d'antan ?" (Villon).
On entend beaucoup parler aussi d'énergie, à cause des hausses sans fin des tarifs, le gaz + 60% depuis 2005, l'électricité + 20% depuis je ne sais quand, l'essence n'en parlons pas, mais si, justement, tous les jours on nous en rebat les oreilles, cependant que Monsieur de Margerie, Président de Total, se fait reprendre pour avoir eu l'outrecuidance de dire tout haut ce que chacun pressent : le litre de super sera sous peu à 2 euros.
Mais, pensè-je, le vrai problème de ces énergies n'est pas leur prix, elles sont en réalité sans prix, parce que non renouvelables. La vraie question est, non pas la hausse des coûts, mais comment vivre plus économiquement, en consommant moins, différemment - eu égard à la rareté de la ressource, et aussi à l'état dans lequel nous laisserons la Terre en héritage à nos descendants - bref, pour toutes ces raisons, la question est celle de comment vivre différemment, en quoi dans le quotidien changer nos modes de vie, quels choix faire dès aujourd'hui ; "comment souhaitons-nous contribuer pour vivre dans un monde meilleur ?" [qui est le thème de réflexion d'un groupe de mes amis]. Je n'aimerais pas que mes petits-enfants en viennent plus tard à ce constat : "Notre héritage n'est précédé d'aucun testament" (René Char).
Autre actualité, mais qui s'est faite bien discrète : l'entrée, le 6 avril, au Panthéon, où une plaque porte désormais son nom, du grand poète et homme politique Aimé Césaire. Discrétion telle que les journaux, la télé, la radio n'y ont consacré qu'une brève ; les librairies, à Grenoble du moins (la Fnac, Arthaud, Decitre, la Librairie de l'université...], n'ayant rien prévu de particulier pour la circonstance [pas de présentoir, rien, les vendeurs de deux des librairies citées ignoraient même tout bonnement qu'Aimé Césaire entrait au Panthéon ce 6 avril]...
Oui, pourquoi ce silence ? Parce qu'Aimé Césaire, poète, dramaturge, écrivain, élu, héraut de la négritude, dérangerait plus que jamais ? - parce que toute sa vie il voulut rester dans l'âme un rebelle ?, - dénonçant inlassablement dans ses combats politiques le nouvel "ensauvagement" du monde, la nouvelle "fabrication de personnes jetables" [l'expression vient de lui], qui "déshumanise l'homme même le plus civilisé" ?
Aimé Césaire : "Mon nom : offensé ; mon prénom : humilié ; mon état : révolté ; mon âge : l'âge de pierre. Ma race : la race humaine. Ma religion : la fraternité."
Côté international, l'actualité n'est guère plus souriante. Je reviens sur le drame du Japon [1 mois déjà], juste pour faire part de mon émotion en entendant à la radio une Japonaise, vivant depuis dix ans à Paris, nous dire combien il est difficile pour elle, de devoir suivre les événements au loin. Les Japonais, les membres de sa famille sur le terrain, sont, disait-elle, confrontés à la catastrophe, leur esprit est occupé, investi pour trouver des solutions, s'en sortir. Ils sont confrontés au réel, au réel qui résiste, avec des limites ; tandis que elle, à Paris, elle ne peut qu'imaginer ce qui se passe là-bas, et l'imagination n'a pas de limites : l'esprit est préoccupé, en permanence, sans fin...
Grande source de satisfaction, les nouvelles du "printemps arabe" ! - "Un seul printemps dans l'année... et dans la vie une seule jeunesse" (Beauvoir) - mais, il y a aussi, dramatiquement, horreurs et tremblements, haines et morts, dans les révoltes arabes. Saluons avec enthousiasme l'aspiration de la jeunesse à la liberté, mais n'instrumentalisons pas la démocratie ! surtout nous, les puissances occidentales, qui toléraient sans s'en offusquer les dictatures, remparts contre l'islamisme et garantes de la sécurité d'approvisionnement du pétrole.
Pour la Lybie, ce n'est pas le "printemps" mais Une Saison en enfer (Rimbaud). Reste, tout de même, une toute petite place pour rêver - "Donc, je marche vivant dans mon rêve étoilé" (Victor Hugo). Cette place, objet de combats violents, se nomme Syrte. Ce n'est pas en tant que ville natale de Kadhafi qu'elle me fait rêver, non ! mais parce qu'elle évoque pour moi - simple homonymie - Le Rivage des Syrtes, le chef d'oeuvre de ce grand écrivain qu'était Julien Gracq, le "dernier des classiques", disparu il y a peu.
J'apprécie beaucoup Julien Gracq et me promets d'écrire un billet sur lui, dont l'oeuvre, j'espère en convaincre, illustre bien cette phrase d'André Breton extraite de L'Amour fou : "J'aimerais que ma vie ne laissât pas après elle d'autre murmure que celui d'une chanson de guetteur, d'une chanson pour tromper l'attente. Indépendamment de ce qui arrive, n'arrive pas, c'est l'attente qui est magnifique".
Note :
L'intégralité de l'oeuvre de Julien Gracq est publiée chez José Corti, un éditeur rare (sa librairie : rue Médicis en face du Jardin du Luxembourg à Paris. Les livres publiés par José Corti sont encore à l'ancienne, pas massicotés. Le lecteur doit se pourvoir d'un coupe-papier ou d'une lame de couteau pour engager sa lecture...).
1951 : Le Rivage des Syrtes s'est vu décerner le prix Goncourt - que Julien Gracq a refusé, premier écrivain à le faire.
1989 : Julien Gracq est l'un des rares écrivains à avoir été publié de son vivant dans la Pléiade.
Agrégé d'histoire, Julien Gracq a enseigné l'histoire et la géographie (géographie qui va beaucoup marquer son oeuvre littéraire) successivement aux lycées de Quimper, Nantes, Amiens, puis au lycée Claude-Bernard à Paris à partir de 1947, jusqu'à sa retraite en 1970. Parallélement à son activité d'enseignant il a développé, dans une grande discrétion, une oeuvre de romancier, de poète, d'essayiste. Il est décédé le 22 décembre 2007 à l'âge de 97 ans. Il vivait retiré, depuis sa retraite, à Saint Florent-le-Veil, sur les bords de la Loire, commune où il était né, très éloigné des cercles littéraires et des bruits mondains.
Liberté mon seul pirate
(Aimé Césaire)