Dans mon dernier rêve farfelu, je cours avec des bottes de sept lieux et un filet à papillon pour attraper quelque chose qui s’efface au fur et à mesure que j’avance. Et plus ça s’efface, moins je sais après quoi je cours. Mais plus ça m’attire. C’est comme dans un cauchemar que tu veux continuer pour connaitre la fin. Même si ça fait peur. Comme une force aimantée. Une sensation que je veux toucher. Un souvenir que j’ai jamais eu. Comme une appréhension. Une angoisse. Un vide nouveau. Sans contours et sans forme. Qui m’aspire irrésistiblement. En dehors de mes bottes magiques. Mais dès que je m’envole, y’a la boule du Prisonnier qui arrive. Pour me retenir. Et faut que mon psy - qui coure aussi vite que moi, sans bottes, mais avec des spartiates, l’assomme. Avec un boomerang “sans retour” qu’il tire ensuite avec un arc. Comme une flèche. Et qui, une fois dans le ciel, se transforme en oiseau. Puis en pensée : la seule qu’il te reste quand tu penses plus à rien. Et là, et seulement là, faut que j’en fasse une capture d’image avec mon filet à papillon. Pour qu’il puisse l’analyser. Mais moi l’image, ça fait comme un flash fugace. Subliminal. Que j’arrive pas à fixer. Dès que je la distingue, elle se floute. Se pixélise. Avant de disparaitre. Et chaque fois, à la place, sur le cliché, y’a une maison. Comme dans un dessin d’enfant. Avec une cheminée. Une route. Un jardin où les fleurs sont plus grandes que les arbres. Mais avec une porte tellement haute que même si c’était chez moi et que j’avais la clé… même avec des bottes de sept lieux, je pourrais jamais rentrer. Parce que y’a ni escaliers. Ni ascenseur. Cette image intrigue mon psy qui ne parvient pas à la dater. A lui donner une heure précise. Sans compter que y’a pas de soleil. Ce qui l’étonne d’autant plus. Pour un dessin d’enfant. Me dit-il. Tandis que moi, ce qui m’étonne, c’est qu’il ne voit même pas que c’est la nuit. Sur ce dessin. Puisque les chats sont tous gris. Mais je lui dis rien. Puisque soit disant, c’est pas moi le psy. Et je le laisse chercher.
Autour du cou, il a des écouteurs en forme de stéthoscope, branchés à son mp3. Et je lui demande pourquoi il veut pas me le prêter. Alors qu’il les prête à tout le monde. Et il me fait croire qu’avec, on peut entendre son inconscient. Que ça pourrait être violent. Pour moi. Et que pour le moment, il préfère qu’on s’en tienne au “jeu du boomerang”. Quitte à tricher. A sauter des niveaux. Mais moi j’en ai marre des boomerangs sans retour. J’ai l’impression que chaque fois, on m’envoie sur la Lune. Et que je reviens avec une photo de la maison huit en Pluton. Alors je lui arrache son casque 3D intra cérébral de psy. Et quand je le mets sur mes oreilles, j’entends une voix qui me dit que faudrait qu’on arrête de marcher en crabe, nous les cancers, surtout ceux du premier décan, parce qu’on la connait notre combine,et qu’elle devient lassante. Que côté travail, faut qu’on garde le cap. Derrière, y’a un bruit lancinant. Qui revient à intervalles réguliers. De plus en plus assourdissant. Comme une sirène. Quelque chose qui m’empêche d’entendre le fond de mes pensées, derrière l’horoscope et la météo - qui ne peuvent en être que la couche très superficielle. La peau. L’épiderme. Quand soudain, je m’aperçois que c’est pas les miennes. Mais les siennes. De pensées : celles de mon psy. Et qu’il est très en colère : “Mais putain… tu vas l’éteindre ton putain de réveil”. Me crie-t-il. Sauf que c’est pas mon psy. Que je ne suis pas dans une clairière en train de suivre des yeux un boomerang en pleine mutation. Mais dans mon lit. Et qu’il est midi. J’ai rendez vous avec Betty à 15h30. J’ai le temps de me rendormir une petite heure. Le temps de rembobiner. De reprendre. Faut absolument que je sache. Alors je ferme les yeux. Je me concentre. Et pile au moment où je remets le casque, racordé à la bonne fréquence, cette fois, mon téléphone sonne. C’est Maître Gaillard. Mon avocat. Il m’annonce qu’après 3 ans de bataille acharnée, je viens de gagner mon procès contre Nutella. Que les experts ont estimé que la célèbre pâte à tartiner n’avait effectivement pas le vrai gout du bonheur. Pas plus qu’Herta n’avait celui de l’authenticité. Comme je l’avais prouvé trois ans auparavant.