Et c’est vrai que pour les américains, l’argent est toujours privé. Lorsqu’il est public, les américains préfèrent parler de « déficit », ou de « taxpayer dollars » (dollars du contribuable), ce qui n’encourage pas à la dépense.
L’idée négative qu’ont les américains de l’argent, pardon, de la dépense publique transcende les partis. Même si les républicains en font des tonnes pour le diaboliser, les démocrates ne sont pas plus enclins à faire confiance à leur gouvernement lorsqu’il s’agit de leurs deniers. Un bon gouvernement est un gouvernement qui rembourse les contribuables. L’impôt étant prélevé à la source, le tax refund que l’on reçoit chaque année pour le trop perçu est un indicateur concret de la performance budgétaire du gouvernement pour la plupart des américains, et un acompte électoral pour la plupart des gouvernements.
Mais la caricature s’arrête là. La réalité est que la dépense publique du pays est colossale, et qu’un grand nombre d’américains y sont très attachés. Qu’ils soient conservateurs et prêt à tout sacrifier pour préserver les budgets du Pentagone et de Homeland Security (la Sécurité Intérieure, née sur les cendres du World Trade Center), ou qu’il soient libéraux et prêt à tout démolir si on touchait à leur Social Security (caisse de retraite). Le gouvernement fédéral subventionne donc tous les domaines de la vie publique : santé, éducation, recherche, transport, infrastructures, défense, industrie, écologie, famille, travail, … Et même la radio et la télévision ! Si !
A travers NPR (National Public Radio) et PBS (Public Broadcasting Service), l’Etat distribue des subventions et des programmes à une myriade de stations locales et nationales. Ces stations offrent généralement des informations plus variées, des reportages de fond et des programmes culturels moins soumis à la mesure d’audience et aux revenus publicitaires. D’ailleurs, les programmes n’y sont jamais coupés de publicité, ce qui leur donne une couleur tout à fait unique dans le paysage audiovisuel américain. Certains diront ennuyeuse. En bon français allergique à la pub, KCRW (membre de NPR) est ma radio de prédilection lorsque je suis en voiture, et j’y puise l’essentiel de mes informations quotidiennes sur l’état du monde, en chemin vers le bureau.
Les Républicains ayant repris la main sur le Congrès suite aux dernières élections, le débat s’est déporté de la réduction des dépenses militaires à celui de la réduction des dépenses « inutiles », et la radio et la télévision publique sont en ligne de mire. L’enjeu budgétaire est dérisoire comparé à l’ampleur de la dette (97% du PIB), mais le débat a fait rage, alimenté par une sombre affaire de caméra cachée ayant surpris des dirigeants de NPR en flagrant délit d’opinion gauchisante. Il s’agissait donc surtout d’arrêter d’alimenter une organisation soupçonnée de promouvoir des idées libérales avec l’argent des contribuables conservateurs* . Point barre.
J’ai été frappé par la totale inversion des débats par rapport à ceux que soulève la « redevance » télévisuelle en France. Pour les français, le service public est un gage de qualité (moins de pub) et d’indépendance des programmes (moins d’influence de l’argent tout pourri). Pour les américains au contraire, c’est un risque de manipulation des programmes (trop d’influence du gouvernement), et de dégradation de la qualité (moins de créativité).
Au final, la réduction des subvention fédérales devrait avoir assez peu d’impact. A y regarder de près, l’argent public représente moins de 16% des revenus de NPR. L’essentiel provient des auditeurs appelés à soutenir financièrement leur station locale chaque année (32%) et des mécènes privés (21%) — à ne pas confondre avec les annonceurs : il n’y a pas de pub sur NPR. Le service public à l’américaine, en somme, est plus proche du collectivisme qu’on ne l’imagine !
* Ce point de vue est purement rhétorique: 53% des auditeurs de NPR se considérant plutôt conservateurs ou centristes.