Paris, Place de l'Estrapade, avril 2011
à la nouvelle librairie El Salón del libro, 21 rue des Fossés Saint-Jacques. Paris 5e (Près du Panthéon).
Rencontre avec Miguel Rocha Vivas autour du dossier sur les poètes indigènes de Colombie publié dans la revue Europe avec aussi : Jean-Baptiste Parra, Laurence Breysse-Chanet et les poètes Fredy Chikangana, Miguel Anguel López Hernández et Hugo Juagibioy.
C'est au cours de la dernière décennie du XXe siècle qu'a fait irruption en Colombie une génération d'écrivains indigènes dont les œuvres poétiques, autobiographiques et narratives ont été publiées en espagnol. Si ces auteurs ont bénéficié de l'intérêt de quelques maisons d'édition et de diverses institutions, cela tient à la résonance mondiale des débats auxquels donnèrent lieu les commémorations du 500e anniversaire de l'arrivée des Européens en Amérique. Un an auparavant, en 1991, la Colombie avait promulgué une nouvelle Constitution dans laquelle le pays se déclarait multiethnique et pluriculturel. Le texte de la Constitution fut d'emblée traduit dans sept langues amérindiennes parmi la bonne soixantaine qui sont actuellement parlées sur le territoire national. C'est donc dans le contexte d'un pays reconnaissant sa propre diversité que les écrivains indigènes commencèrent à acquérir une certaine « visibilité ».
Parmi cette première génération, se détachent Miguelángel López Hernández (Vito Apüshana) et Vicenta María Siosi (tous deux wayuu), Berichá (écrivaine uwa), Fredy Chikangana (poète et conteur yanakuna) et Yenny Muruy Andoque (écrivaine andoke-uitoto). Ils ont toutefois été précédés par quelques « pionniers » de la littérature indigène en Colombie qui forment une pléiade hétérogène d'auteurs ayant réussi à publier à l'intérieur ou à l'extérieur du pays, comme les écrivains wayuu Antonio Joaquín López (Briscol), Glicerio Tomás Pana, Miguel Ángel Jusayú et Alberto Juajibioy Chindoy, écrivain kamëntsá dont le parcours et l'œuvre représentent le lent passage de l'informateur à l'écrivain indigène en tant que tel.
Dans la première décennie du nouveau siècle, on a vu croître le nombre des écrivains indigènes et particulièrement des poètes. Ils ont commencé à publier des textes littéraires dans leur langue maternelle et en espagnol. Si cette décennie a vu son début marqué par l'attribution du prix Casa de las Américas à Miguelángel López Hernández en 2000, elle s'achève sur un projet du ministère de la Culture qui entend créer une bibliothèque de la littérature indigène. Au cours de ces années, nous avons vu émerger des écrivains d'une force et d'une sensibilité remarquables comme Hugo Jamioy Juagibioy (kamëntsá) et Estercilia Simanca Pushaina (wayuu). Simultanément, c'est avec une ardeur nouvelle que s'est affirmé l'intérêt pour l'apport irremplaçable des innombrables conteuses, conteurs, chanteuses et chanteurs traditionnels qui entretiennent la flamme vive des arts verbaux dans leurs communautés. Les écrivains de la première génération ont, quant à eux, continué de travailler et ont parfois rencontré en chemin une reconnaissance internationale, comme Fredy Chikangana.
Cette résurgence de la parole autochtone peut être perçue comme un phénomène continental et pas exclusivement latino-américain. On doit tenir compte ici des relations interculturelles et des échanges permanents entre écrivains indigènes de tout le continent (États-Unis, Mexique, Guatemala, Venezuela, Colombie, Pérou, Brésil, Chili). Ces littératures, fréquemment multilingues, dotées à la fois de vigoureuses racines ancestrales et d'une grande charge autobiographique, se déploient dans toute leur force thématique et leur diversité stylistique. Elles peuvent être lues et perçues comme des réseaux de communication interculturelle qui nous atteignent dans la réalité même d'une Amérique différente jusqu'en ses racines.
Miguel Rocha Vivas
Traduit de l'espagnol par Jean-Baptiste Para