Récit d’un séjour à Athènes – Episode 1
Il y a un moment où il faut arrêter de penser à soi… En fait, il faudrait surtout arrêter de s’analyser, de ruminer ses angoisses, ses peurs de la mort, de l’accident, du malheur.
Je crois me souvenir que c’est ce que nous rebattent depuis des siècles quelques gourous du bout du monde avec leur philosophie du lâcher prise, mais c’est comme pour tout : on a beau nous répéter inlassablement le même message, ça ne fonctionne jamais, jusqu’au jour où on a le déclic (ici, je suis quand même obligée d’admettre qu’on peut avoir trouvé le déclic… puis le perdre. Et le retrouver un jour et le perdre à nouveau,…).
Me voilà donc sur mon siège, dans un avion… les quelques jours qui ont précédés ce déplacement, j’ai tenté de ne pas cogiter. J’ai mis « voyager en avion », dans ma liste des choses à faire ce jour-là, entre « nourrir le chat », « sortir les poubelles » et « envoyer un mail pour tel projet ». Bref, une formalité parmi d’autres qui ne nécessite pas une longue réflexion préalable.
La journée est donc passée. J’ai pris un bus (bondé) qui m’a épuisée : ballotée parmi ces gens qui rentrent de l’école ou du boulot.
Ensuite, j’ai pris un train (vieux) qui m’a un peu calmée : j’ai réalisé mon énervement lorsque la femme assise près de moi m’a demandée un renseignement. Je me suis sentie agacée par sa requête, alors qu’habituellement j’aime beaucoup rendre service. Surtout aux étrangers, encore plus à ceux qui vont vers l’aéroport… ça me rappelle les bons souvenirs où je prenais ce même train en uniforme. J’ai répondu gentiment à sa question, elle m’a fait un beau sourire, rassurée d’être au bon endroit.
Je me souviens avoir pensé deux choses en la regardant : je trouvais son sac à mains très joli et dans quelques heures, ce serait moi l’étrangère dans un train…
Et enfin, j’ai pris un avion (blanc), qui justifie à lui seul l’écriture de ce texte.
Depuis l’enregistrement jusqu’à l’embarquement, je suis restée calme face à la simple routine de ces formalités. Je rêvassais à mes vacances : revoir F. Ka, redécouvrir Athènes, vivre de nouvelles aventures… Quelques instants plus tard, dans l’habitacle de l’avion, je ne ressens toujours pas d’angoisse, peut-être juste un peu d’appréhension…
Me voilà donc installée sur mon siège. J’essaye de ne pas analyser le moindre battement de mon cœur, la plus petite respiration pas assez profonde, qui peut-être n’emplit pas assez mes poumons d’air, je tente de ne pas me dire qu’il ne m’en faut pas plus, de l’air, si je meurs dans l’heure, mais, non : vite je dois évacuer cette pensée morbide, continuer à me concentrer sur le fait qu’en réalité, je n’ai pas peur, je n’ai que le souvenir de la peur.
Regarder par le hublot ; tout de suite y renoncer : ça me rappelle que je suis dans un avion…
Mettre le volume de mon MP3 au maximum, emplir mes oreilles d’une musique bien funky… bouger la tête, taper du pied, sourire.
Poser à nouveau les yeux sur le tarmac. S’oublier. Songer au nombre d’êtres humains qui se sont mobilisés pour que cela soit possible : un voyage en avion !
Penser avec émerveillement à la magie que cela représente, au haut degré de technicité qu’il a fallu à des hommes et des femmes que je ne connais pas pour parvenir à ce résultat.
Essayer de me les représenter dans leur quotidien, tous ces gestes pour que je sois là….
Et bien sûr à ce moment-là, imaginer tout-à-coup une série d’évènements aussi improbables que perturbateurs qui viendraient enrayer cette machinerie :
Un homme vient de rencontrer une femme, il passe la nuit chez elle. Il en oublie qu’il a laissé son chien dans le jardin.
Le chien aboie toute la nuit, empêchant son voisin de dormir.
Le voisin se lève bougon, part travailler en retard, bouscule brutalement une dame à la boulangerie.
La dame, choquée, rentre en oubliant la moitié du petit déjeuner, ce qui agace son mari. Ils se disputent.
Le mari part travailler, il n’arrive pas à se concentrer.
Il est ingénieur en aéronautique.
Il ne le sait pas encore, mais il a oublié un élément essentiel : un boulon, un fil, un je-ne-sais-quoi que la boîte noire nous racontera ; mais un élément essentiel à la sécurité de cet avion dans lequel je suis installée.
Et vite, chasser cette pensée morbide….
Ouvrir un livre, changer de chanson, refermer le livre, se concentrer sur un autre bouquin…
Regarder par le hublot….m’oublier. Je veux dire m’oublier vraiment.
M’émerveiller juste de ce qu’il se passe : songer au « slot », voir l’avion se diriger vers la piste de décollage, le sentir qui prend de la vitesse.. savoir que bientôt, il ira tellement vite, que, quoi qu’il se passe, personne, je dis bien personne sur terre ne sera en mesure de l’empêcher de s’envoler… Me laisser envahir par cette sensation au moment où il décolle. Sourire. Fermer les yeux. Apprécier le calme. Sentir une petite pointe d’appréhension encore, visualiser les milliers d’avions dans le ciel transportant des millions de gens. Me détendre…
Me laisser porter par la routine du vol : les boissons, le repas, le thé, le film, la vente, le message du Commandant pour dire « merci, on arrive dans trente minutes, on commence la descente »…
Sentir à nouveau un petit affolement, combattre mon esprit. Me dire que puisque je veux sortir de cet avion, il faut bien qu’il soit au sol, qu’il descende. Tenter de dormir pour ne rien ressentir. Ne pas y parvenir. Me retourner, m’angoisser une demi seconde, me concentrer sur les chiffres de l’écran indiquant le nombre de mètres avant d’atteindre le sol. Respirer.
Regarder par le hublot. Il fait nuit. Voir Athènes. Ses lumières, ses courbes, tout ce que je parviens à deviner d’elle. Et là, un peu comme par magie, entendre la voix du Dr K qui me raconte la Grèce. La Grèce antique, mythologique, tenter de me souvenir de ces histoires relatées lors de chaque repas de famille, aux vacances. Me remémorer avec nostalgie tant d’autres moments d’un passé qui n’est plus…
Et tout doucement l’avion descend. Et aussi quelques larmes sur mes joues. Les détails de ce qu’il se passe au sol me semblent plus perceptibles, malgré ma myopie. Je vois les routes, je perçois les véhicules, je distingue les voitures des camions. Et déjà nous avons atterris.
Quand je me retrouve enfin dehors, mon bagage à la main, respirant à plein poumons dans la nuit athénienne, mon œil est attiré par un sac à mains… Bien joli.
Dans le bus, je passe près de la dame qui le porte, je lui souris, et je lui dis : « Maintenant, c’est vous qui devez m’informer ».
Athènes, 30 mars 2011