Parfois, je me sens pris d’horreur, par Victor Hugo

Publié le 28 avril 2011 par Xavierlaine081

 

Parfois, je me sens pris d'horreur pour cette terre;

Mon vers semble la bouche ouverte d'un cratère;

J'ai le farouche émoi

Que donne l'ouragan monstrueux au grand arbre;

Mon coeur prend feu; je sens tout ce que j'ai de marbre

Devenir lave en moi;

.

Quoi! rien de vrai! le scribe a pour appui le reître;

Toutes les robes, juge et vierge, femme et prêtre,

Mentent ou mentiront;

Le dogme boit du sang, l'autel bénit le crime;

Toutes les vérités, groupe triste et sublime,

Ont la rougeur au front;

.

La sinistre lueur des rois est sur nos têtes;

Le temple est plein d'enfer; la clarté de nos fêtes

Obscurcit le ciel bleu;

L'âme a le penchement d'un navire qui sombre;

Et les religions, à tâtons, ont dans l'ombre

Pris le démon pour Dieu!

.

Oh! qui me donnera des paroles terribles?

Oh! je déchirerai ces chartes et ces bibles,

Ces codes, ces korans!

Je pousserai le cri profond des catastrophes;

Et je vous saisirai, sophistes, dans mes strophes,

Dans mes ongles, tyrans.

.

Ainsi, frémissant, pâle, indigné, je bouillonne;

On ne sait quel essaim d'aigles noirs tourbillonne

Dans mon ciel embrasé;

Deuil! guerre! une euménide en mon âme éclose!

Quoi! le mal est partout! Je regarde une rose

Et je suis apaisé.

Victor Hugo