Magazine Humeur

Deuxième étage droite

Publié le 28 avril 2011 par Cecileportier

 

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Hier soir, un voisin de l'immeuble du fond vient me voir, me parle, me montre une fenêtre en haut, mais je ne comprends pas, son fils arrive, m'explique, me dit, "vous savez, notre voisin de palier, ça fait longtemps qu'on ne l'a pas vu, et à l'étage ça sent très mauvais. On a frappé, ça répond pas, on s'inquiète".
J'appelle les pompiers, je les attends devant l'immeuble, ils arrivent, je leur montre, de loin, où c'est. Je suis seule avec les enfants ce soir là, alors ensuite je rentre, je ferme la porte, les fenêtres, les rideaux, et on reprend comme si de rien n'était, le dîner, le dessert. On entend les coups sourds contre sa porte, ensuite on n'entend plus rien.

Et puis, des petits coups, sur notre porte à nous, alors j'ouvre, et le pompier me dit, oui, il est décédé, et visiblement ça fait un peu longtemps déjà, mais rassurez-vous on l'a trouvé dans son lit, dans un sens c'est une belle mort.
Les pompiers partent, viennent les policiers, et à une qui porte un masque et des gants, et qui est sortie un moment dans la cour avec un formulaire à remplir, je demande comment s'y prendre, pour assister aux obsèques. Elle me dit, le nez sur son papier, pour l'instant on ne peut rien faire, il faut retrouver la famille. Je dis, pour ce que j'en sais, il n'a personne, en tout cas personne ici, peut-être en Tunisie. Elle répond que le corps sera emmené à l'institut médico-légal, jusqu'à ce qu'on retrouve une famille, qui décidera quoi faire. Et si on ne la retrouve pas, au bout d'un moment on procédera à l'incinération.
Il habitait au deuxième étage, porte droite. Quel âge il avait je n'en sais rien, sans doute plus de soixante dix. Il était malade, on le savait, on ne savait que cela de lui, son coeur malade, et qu'il vivait seul. On le voyait de temps en temps, sortir, rentrer, la casquette noire vissée, la tête baissée, qu'il relevait seulement pour dire bonjour, tout doucement. On le voyait de temps en temps, mais pas si souvent, nous n'avions pas forcément les mêmes horaires. Et puis il était si discret qu'on ne s'étonnait pas qu'il soit rare. Cela faisait sans doute plusieurs semaines que je ne l'avais pas vu, et je n'en ai conçu aucune surprise. D'ailleurs, je n'ai pas une seule fois pensé à lui, pendant tout ce temps où je ne l'ai pas vu. Et hier soir je n'ai pas su me rappeler son nom, c'est un voisin qui me l'a redonné.
Vers minuit le long de nos fenêtres on a vu la lueur d'une lampe de poche, on a entendu le bruit de roulettes métalliques poussées sur le mauvais pavé. C'est comme ça qu'il est parti, dans la nuit, sans autre accompagnement que professionnel. Il n'y aura sans doute pas, autour de lui, de capitons en satin. Il n'y aura sans doute pas de témoignage de ce qu'il fut, de sa vie, des souvenirs qu'il a laissé, à l'heure de le mettre en terre ou de l'incinérer. Alors qu'il y ait au moins cela, ces quelques mots.


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