Plus petite, j’étais fascinée par les chaussures à talons de ma mère. De par son métier, elle était obligée d’en porter en permanence, des noirs, à bouts ronds. Alors parfois, quand elle rentrait se reposer entre 2 vols, j’en profitais pour me faufiler dans sa chambre et lui piquer une paire pour l’essayer. Elles étaient bien évidemment trop grandes pour moi et j’avais donc du mal à marcher avec, mais j’avais l’impression de « faire comme les grandes » en ayant des « koss koss » aux pieds. Intéressant d’ailleurs, le fait que je surnommais ces escarpins par le bruit qu’ils faisaient lorsque ma mère marchait avec.
Ma mère n’était pas une grande collectionneuse de chaussures, son truc à elle, c’était plus la maroquinerie en cuir. Ceci explique peut-être le fait que j’ai toujours vu les sacs comme un élément clé de la garde-robe d’une femme, tandis que les souliers n’étaient que de vulgaires accessoires. Par ailleurs, dans l’enfance, le mythe du soulier de verre de Cendrillon m’apparaissait comme un détail sans importance. Ce n’est qu’en grandissant que j’ai pu en saisir le sens. En effet, et si les chaussures étaient le prolongement de notre féminité ? Un célèbre dicton anglosaxon dit bien « Donnez les bonnes chaussures à une femme, et elle pourra conquérir le monde ».
Avec l’avénement de Sex & The City, j’ai découvert qu’être chaussée de sandales Jimmy Choo ou de compensées Manolo Blahnik dépassait le simple cadre de la tendance. C’était bien sûr d’une part, prouver qu’on était confortable financièrement parlant. Mais aussi, affirmer qu’on a franchi le pas de fille à femme, que l’on s’assume. A cette époque, je me disais ( comme beaucoup je suppose ) que plus tard, j’aurai plusieurs paires de Blahnik, ce serait la première chose dans laquelle j’investirai mon 1er salaire. Et cette époque en question date de moins de 10 ans. Entre temps, la série s’est arrêtée, Manolo a perdu du terrain, d’autres chausseurs sont apparus……………………………………et c’est là que se situe le gros trou dans mon histoire. Je n’ai pas vu à quel moment Christian Louboutin est devenu un dieu de la chaussure pour femmes. Enfin, par là, je veux dire, je n’ai pas vu le phénomène arriver.
Bien évidemment, Louboutin, çà a été d’abord une histoire de placements de produits. Les actrices hollywoodiennes ont commencé à les porter les unes après les autres. Cà n’a rien de nouveau, ce n’est pas la 1ère ni la dernière marque à procéder de cette façon pour se faire connaître. Certaines ont même creusé leurs propres tombes en choisissant cette méthode ( cf. Audigier..). Seulement, la différence ici avec Louboutin, c’est qu’acquérir une de ses paires n’est plus un simple achat Mode pour se faire plaisir, pour faire comme X ou Y. Porter une paire C.L. , c’est être une femme conquérante, c’est dire « J’ai bon goût », c’est même revendiquer son appartenance à un club select aKa « les Louboutin Girls » . Elément majeur là-dedans : la semelle rouge.
Si je reprends l’exemple du sac plus haut, celui-ci a l’avantage de par son architecture, de pouvoir porter des signes distinctifs ( logos, boucles..) qui permettent une identification rapide. Or, pour les chaussures, il vous faudrait être une connaisseuse pour savoir que les mocassins vernies noires que porte votre voisine de métro sont signées X ou Y. Louboutin a eu cette brillante idée de choisir la semelle rouge comme une signature, et j’irais même plus loin. A l’heure actuelle, après des années 90 marquées par les profusions des logos dans le luxe, une partie des consommateurs est arrivée à saturation. Marre de sortir de chez soi vêtu comme un panneau publicitaire ambulant, et puis, le bon goût désormais est au « No logo », le vrai chic et ses valeurs de discrétion refont plus que jamais surface. Du coup, la semelle rouge est un logo qui n’en est pas un. C’est plutôt un clin d’oeil, façon de dire «seul(e)s les initié(e)s savent» mais en même temps « Hey regardez, je porte des chaussures qui valent un SMIC mensuel ». Toute l’ambivalence est là. Sur le plan Marketing, bravo donc à C.Louboutin d’avoir réussi cela. Mais mon point concerne le détournement de la marque par les consommatrices. On est passé de la « simple » paire d’escarpins à…un thermomètre presque sociétal.
Le mois passé, je suis tombée sur un article chez Necole B. dans lequel la video girl américaine Dollycia Bryan lançait quelques piques à une une autre video girl, Rosa Acosta. Pour résumer : il y a plusieurs mois maintenant, le rappeur Maino s’était moqué de Rosa, déclarant qu’en plus de ne pas vivre la grande vie comme elle le prétend, « porte des fausses semelles rouges », comprenez des Fake Louboutin. Dollycia donc, lors d’une de ses dernières interviews, y a fait allusion en déclarant que porter des Christian Louboutin ( des vraies ) devrait en somme être le but de toute femme qui se bat pour s’en sortir. Elle en a profité pour prendre Beyoncé en exemple, établissant un lien entre le fait que celle-ci soit au Top de sa carrière et qu’elle possède une collection impressionnante de Louboutin.
( Beyoncé lors de son passage à Paris la semaine passée. Robe Preen, sac Jimmy Choo et bien sûr, Louboutin aux pieds ).
Rosa, se sentant visée, a rétorqué quelques jours ensuite qu’elle portait de vraies C.L. Et qu’elle n’avait de leçons à recevoir de personne.
Autre anecdote: j’écoutais la dernière mixtape de la rappeuse Trina, «Diamonds are forever». Et je dois dire que le nombre de fois où elle fait référence à ses « Red bottoms » est presque suspect ( si je ne connaissais pas la politique de la maison, je parierais que Louboutin l’a payé ). Sans oublier bien sûr, le single « Throwing off my Louboutins » de Jennifer Lopez, sorti l’an dernier.
Aujourd’hui, les semelles rouges sont mêmes de plus en plus connues des hommes ( mêmes ceux qui ne s’intéressent pas du tout à la mode, et encore moins aux chausseurs pour femmes ). Je suppose que c’est entre autres cela qui a poussé la marque a lancé une ligne masculine, dont le dernière modèle a été en rupture de stock le jour de sa sortie..à plus de 1000 $ la paire de baskets, quand même. Les mâles voulaient pouvoir eux aussi dire « J’ai ma paire de Louboutin », à force de l’entendre dire par leurs femmes/petites amies/soeurs/amies. Et c’est donc là ce qui m’intéresse.
Pourquoi n’en est-il pas de même pour Giuzeppe Zanotti, pour Nicholas Kirkwood, pour Cesare Paciotti, pour Charlotte Olympia, pour Sergio Rossi qui font pourtant le même type ( à quelque centimètres près ) de produits et sont également très prisés par Hollywood ( surtout pour Zanotti ) ? Louboutin était dans leur catégorie, presque plus confidentiel, et je ne sais trop comment en si peu de temps, il est passé de Must Have mode à Must Have tout court. Je ne compte plus le nombre de requêtes Google liées à mon blog dans lesquels se trouvent des recherches du style « acheter louboutin moins chers », »avis louboutin » ou « blog vide-dressing louboutin pas chères ». Je parle pourtant d’autres marques sur ce blog, mais ces requêtes-là sont particulièrement présentes. Il semblerait même que « Christian » soit devenu un peu le meilleur ami de la femme. Je réitère donc ma question: comment expliquer cette quasi-mythification des chaussures à semelles rouges ?
Jusque maintenant, le seul produit de Luxe qui avait cette aura, c’était le sac Birkin de Hermès. Ce sac pour moi représente un élément social important, beaucoup plus qu’une bague Chaumet ou qu’une robe Couture McQueen. Bien sûr, certain(e)s me diront que n’importe qui a un Birkin de nos jours ( et le porte n’importe comment surtout ). Peut-être, mais n’empêche que depuis plusieurs décennies, ce sac a une importance singulière qui lui permet de n’avoir jamais à souffrir d’une comparaison avec d’autres. J’veux dire, depuis que le Birkin est sorti, combien de sacs Must Have d’autres marques de luxe ont vu le jour ? Combien de fois nous a-t-on annoncé que le nouveau fourre-tout de chez X ou Y allait devenir THE sac…avant de disparaître 6 mois plus tard ? Même le 2.55 matelassé de Chanel, l’Alma de Vuitton, le Muse d’YSL ou le Giant de Balenciaga ne bénéficient de la même stature. Pour qu’un quelconque produit atteigne ce statut intemporel, par définition, il faut du temps. Or, dans le cas de Louboutin j’ai l’impression qu’on y arrive et ce, en à peine quelques années. Cà m’intrigue vraiment.
Ceci étant dit, j’ai quelques réserves concernant la comparaison Birkin/Loubou. Le 1er est UN article. On peut en changer la couleur, on peut le personnaliser, mais le modèle de base reste inchangé. Dans le cadre de C.L., c’est une marque qui présente des collections et prend donc le risque de parfois proposer des modèles un peu hasardeux ( comme ce modèle inspiré par Blake Lively…à la place de Blake, je serais vexée d’ailleurs ).
( La « Blake », par Christian Louboutin ).
Alors est-ce que les acheteuses continueront d’acheter uniquement pour le statut que ces chaussures leurs confèrent ? Le chemin à parcourir pour faire partie des « Classiques » de la mode est encore long.
P.S. : je ne sais pas si je suis la seule à l’avoir remarqué, mais Louboutin devient de plus en plus une marque ethnique. Autant les célébrités blanches s’aventurent à porter de temps à temps d’autres marques, les célébrités noires ne portent QUE des chaussures C.L. et se sont pratiquement appropriées la marque. Cà me rappelle beaucoup le cas du Cristal dont Jay Z avait causé la disparition dans le milieu du Rap US ( résumé ici ) ..espérons donc que le même cas ne se reproduise pas car Mme Jay Z ( comme par hasard ) a assez d’influence sur le Hollywood noir pour que son appel au boycott soit massivement suivi.
Recent Comments: