L’envol
Plus rapidement encore, il avait compris qu’il ne pourrait pas survivre dans cette jungle matriarcale. Fils unique, il était la fierté de sa génitrice. Elle n’avait d’ailleurs pas tort. Beau garçon, intelligent, charmant, ambitieux mais cultivant précieusement son grain de folie, Matthew avait tout pour plaire. Rares étaient ceux qui ne se retournaient pas sur son passage. Certaines personnes, surtout les hommes, le trouvaient parfois un peu prétentieux et cela l’attristait profondément. Soucieux d’être apprécié de tous, il cherchait souvent à dissiper cette impression première qu’il pouvait dégager à son insu. Avec la gent féminine, ses problèmes étaient d’un autre ordre. Bien souvent, donzelles et matrones s’efforçaient, par tous les moyens, à l’amener dans leurs chaudes soieries. Accordant plus d’attention aux émotions et à l’intellect qu’à l’apparence, Matthew refusait rarement ce qui était pour lui des échanges d’affection et preuves d’attachement. Il avait ainsi vu, par maintes occasions, sa vie compliquée par le rôle d’amant mais aussi par les quiproquos dus à ce détachement qui lui était propre et à cette fâcheuse tendance à fuir ses responsabilités lorsqu’il s’agissait de faire souffrir l’autre qui avait apposé erronément le cachet de la subjective notion « avec un grand A » sur leurs échanges. Pourtant, il n’était pas parfait. Ça, non ! Il n’en faisait jamais qu’à sa tête – qu’il gardait soigneusement dans les nuages –, indécis, touche-à-tout sans rien achever, préférant rêvasser et procrastiner que s’embarrasser d’obligations dont les fondements lui semblaient parfois nébuleux et contestables. Quand pourrait-il faire un pas dehors sans le bonnet et l’écharpe hors de prix nécessaires à sa bonne santé ? Las de ce syncrétisme torpide, Matthew revint sur ses pas pour consulter le réseau ferroviaire et choisit un trajet adapté à sa personnalité : peu conventionnel et plutôt compliqué.