La mère, l’amère

Mon écriture est une eau trouble au centre de laquelle gît une île inabordable. Je baigne sans la moindre élégance au milieu de mes souvenirs comme autant de bouées, que je laisse immerger en les crevant ou que je fais flotter en m’y agrippant. Je me laisse couler en apnée vers ce que je devine un trésor dans sa boîte dénuée de vernis, brute de décoffrage, et à travers le masque opaque, yeux grand ouverts, je collecte chaque bulle qui remonte à la verticale tandis que je couche sur le papier buvard des mots qui s’effacent à l’horizontale.

C’est une mer morte, emplie de larmes salées  que j’avale et recrache, que je retiens,  pisse ou pleure au rythme lent des sens qui mentent. J’avale le mercure à petites doses, je m’en imprègne  je m’en arrose, je me mithridatise comme vous vous hydratez. Et c’est dans mes ratés que j’apprends à  nager…j’en brasse-coulée….

Dans  cette eau stagnante, de rares courants soulèvent une monotonie d’habitudes et d’automatismes en une étrange mécanique ; courants glacés entre mes jambes nues  ou bouillonnants dans mes oreilles creuses,  elle me rappelle que je manipule un élément vivant qui me glisse entre les doigts, insaisissable.  De cet organique qui subsistera encore après moi, peut-être plus vivace encore, plus coriace sûrement, aucun ornement sous forme végétale ou animale. En fond sonore, une sorte d’acouphène qui tient du grondement ou plutôt du grognement. L’inodore et l’insipide ont dilué ma matière grise.

Je ne cherche pas ce liquide amniotique dans le quel mon être primitif a baigné il y a de ça des milliers d’années. Je contemple ce rocher qui n’offre aucune prise, ce bloc qui se refuse et je me sens fossile. Minuscule, où reste gravé le message illisible que je m’efforce de déchiffrer.