La lecture est un con

Publié le 06 février 2008 par Emma Falubert
La Lecture est une activité humaine universelle et indispensable et la Lecture est un con. La Lecture est un con parce que bien que reconnue par la force des choses et du temps, d’utilité publique, elle n’en est pas moins perçue, pour la plupart, au minimum comme une contrainte, voire une corvée obligatoire, quand ce n’est pas comme une punition et, pour les plus atteints, comme un châtiment. La Lecture est un con parce qu’elle n’est que très rarement liée au plaisir : elle n’est plus qu’un moyen pour transmettre ou recevoir des informations qui pourront par ailleurs être récupérées et diffusées par l’Image (avec un grand I). La lecture est un con parce qu’on prétend que son objet est toujours et systématiquement trop long : le « c’est un peu court, jeune homme » serait aujourd’hui un compliment, plus qu’une moquerie cinglante et l’amorce d’une tirade d’anthologie, dans une pièce dont aujourd’hui les producteurs trouveraient en toute bonne foi le texte trop long. Faire court et si possible concis, est le mot d’ordre de toute entreprise textuelle. Seuls les modes d’emplois, les contrats d’assurances, les règlements des parcs et jardins, les consignes SNCF, les informations RATP, les baux d’appartements, les conditions d’acceptations des banques, ceux des logiciels ou des sites Internet, entre autres sont très longs et se répandent, en détours et contours aussi précis qu’inutiles. Ils sont d’autant plus longs qu’ils sont écrits en lettres minuscules et en lignes serrées mais personne ne semble en souffrir ni s’en plaindre : sans doute, parce qu’à part quelques cyniques procéduriers psychorigides, personne ne les lit jamais. À l’inverse, dans la presse, pour tous les rédacteurs en chef, la consigne est « faire court ! ». Il traîne encore, sans doute par complaisance et opportunisme, quelques « Tribunes libres » dans de grands quotidiens nationaux, pour se laisser aller à la longueur. C’est évidemment sous la stricte responsabilité des auteurs qui, pour finir et en retour, ne sont lus que par quelques détracteurs ou amis, dont en revanche le droit de réponse sera raccourci par la rédaction… Normal : « trop long, trop long vous dis je ! » La longueur, sauf exception se porte donc mal, très mal : les vrais et grand succès littéraires sont des textes courts, écrits gros et sur de sujets d’humeur, et de bonne humeur si possible. Un peu comme si on voulait non plus lire, mais juste entendre, et converser. Il ne s’agit plus de lecture à proprement parler ( ?!) mais d’un nouveau mode de conversations, sans risques collatéraux, en aveugle ou en absence en quelque sorte, où le « lecteur » a tout de même le sentiment de participer et de converser. Et parce qu’on ne sait plus lire sans dire, les autres types de succès sont des livres d’entretiens et de témoignages qui sont à la lecture, ce que Max du Veuzit est à la littérature, ce que Sarkozy est à la pensée politique, ce que Jean Christian Michel est à la musique classique, Charlie Oleg au vrai music-hall ou Rémi Brica à l’orchestre symphonique. Et paradoxe pour paradoxe, puisque l’époque est à la brièveté et qu’il faut être court, il faut noter qu’en parallèle le bon sens n’a pas toujours le dernier mot : il est par exemple plus rapide et plus efficace de lire une bonne interview dans le journal L’Équipe, que de traîner devant la télé à écouter la même interview, avec ses longueurs, ses ânonnements, ses accents et tous ses parasites et autres perturbations. Bref la Lecture est un con parce qu’on lui préfère les interviews à la télé, les débats ou autres talk shows… où de grands lecteurs, souvent professionnels et érudits devisent savamment et longuement de lecture… ils se donnent bien du mal comme pour nous épargner de le faire. Alors qu’à l’évidence, si l’on s’en donnait la peine, on ne perdrait pas plus de temps à lire, pendant ce temps, et peut être même y retrouverions-nous le plaisir. Qui sait ? personne ! Juste, celui qui lit.
Et pour conclure, rapidement, on sait que de nombreux textes de blogs supporteraient, pour tenir la longueur, certains raccourcissements, celui-ci, y compris, et bien que la Lecture est un con, si vous êtes allé jusqu’ici, c’est malgré tout la preuve que ce texte est à la bonne longueur. (cqfd)