C'est comme chat huile sur toile 65x50 (collection privée)
Il pleut ce soir, que m’importe, mon canapé m’attend et mes esprits fidèles me signifient qu’il est l’heure d’ouvrir le livre d’histoires pour les endormir.
Je sais qu’ils n’ont pas besoin de ça, que ce n’est qu’un prétexte pour se lover tout contre moi et m’écouter parler. Je le sais bien, mais je joue le jeu, ça me plaît bien à moi aussi, c’est bon parfois de se faire dupe.
Le livre, maintes fois ouvert au hasard, s’ouvre tout seul ce soir.
La tête d'un géant
Appuyée sur le mur
Observe l'horizon
Silence minéral d'une architecture improbable
Tout semble de guingois
Mais ça tient
C’est solide
Fait pour résister au vent et à la tempête…
La page en vis-à-vis, toute lumineuse, semble plaire à mes protégés, je vois l’image se refléter dans leurs prunelles bordées d’or.
Facettes irisées
Explosion d'univers
À la recherche des formes
Des cercles tentent d’englober des droites
Et des triangles un peu perdus
Semblent attendre l’œil qui doit les allumer.
Que de figures dans ce monde coloré.
Je ferme les yeux, de l’Egypte à la Maçonnerie, des symboles défilent.
Tous plus parfaits les uns que les autres. Mais je le sais, la perfection n’existe pas.
Le monde se cherche, s’équilibre en permanence. Le symbole n’est là que pour nous guider dans notre quête d’harmonie.
Une patte impatiente, vaguement aiguisée, touche ma joue et me rappelle à la lecture.
Le livre a glissé et s’est refermé.
C’est trop tôt, je l’ouvre au hasard.
Voilà une page froissée.
Les yeux des Esprits s’ouvrent grands. Je lis dans leurs pensées, je sais que l’idée de la boulette ensorceleuse les fait frémir d’excitation, ils sont prêts à bondir.
Je leur explique que ce n’est qu’une image et qu’il est bien trop tard, que ce jeu est un jeu du matin, et que demain, promis, nous jouerons.
Un peu déçus ils se détendent.
Le papier me raconte l’histoire de son sauvetage.
Ce porteur de poésie asséchée a bien failli finir dans la cheminée, consumé par une allumette, mais… heureusement il y a un mais. Un mot à glorifier.
La corbeille se vide
Le crayon escalade ses monts
Glisse dans ses vallées
Douceur de la découverte
Soudain le mot prend place
L'idée de précise
Ce que l'on croyait mort
Vide de sens, rejeté
Respire
Le souffle est là
Création
Œuvre d'art
Un mot m’apparaît écrit dans les replis de cette géographie hasardeuse...
je crois y lire :
"silence".
Mais c’est si ténu, si discret que je me demande.
Seul un enfant pourrait y lire ce qui s’y cache.
"Anne ma sœur Anne ne vois-tu rien s’écrire ?"
Mais je ne suis plus tout à fait une enfant et il est vraiment trop tard pour continuer à se poser des questions qui, de toute évidence, n’auront pas de réponse ce soir.
Je ferme le livre
Je tire les rideaux
Il est grand temps d’aller dormir.
©Adamante